Marx a été littéralement fasciné par la Révolution française. Comme pour beaucoup d’intellectuels allemands de sa génération, elle était à ses yeux tout simplement la révolution par excellence – plus précisément la révolution la plus gigantesque qu’ait connue l’histoire ». *** On sait qu’en 1844, il avait eu l’intention d’écrire un livre sur la Révolution française, à partir de l’histoire de la Convention. Dès 1843, il avait commencé à consulter des ouvrages, à prendre des notes, à dépouiller des périodiques et des collections. Ce sont d’abord surtout des ouvrages allemands – Karl Friederich Ernst Ludwig, Wilhelm Wachsmuth – mais ensuite prédominent les livres français, notamment les mémoires du conventionnel Levasseur, dont les extraits remplissent plusieurs pages du cahier de notes de Marx rédigé à Paris en 1844. Outre ces carnets reproduits par Maximilien Rubel dans le volume III des Œuvres dans la Pléïade, les références citées dans ces articles ou ces livres surtout au cours des années 1844-1848 témoignent de la vaste bibliographie consultée L’Histoire parlementaire de la Révolution française, de Buchez et Roux, L’Histoire de la Révolution française, de Louis Blanc, celles de Carlyle, Mignet, Thiers, Cabet, des textes de Camille Desmoulin, Robespierre, Saint-Just, Marat, etc. On peut trouver un relevé partiel de cette bibliographie dans l’article de Jean Bruhat sur Marx et la Révolution française », publié dans les Annales historiques de la Révolution française », en avril-juin 1966. Le triomphe d’un nouveau système social Le projet de livre sur la Convention n’a pas abouti mais on trouve, parsemées dans ses écrits tout au long de sa vie, de multiples remarques, analyses, excursions historiographiques et esquisses interprétatives sur la Révolution française. Cet ensemble est loin d’être homogène il témoigne de changements, réorientations, hésitations et parfois contradictions dans sa lecture des événements. Mais on peut en dégager aussi quelques lignes de force qui permettent de définir l’essence du phénomène – et qui vont inspirer au cours d’un siècle et demi toute l’historiographie socialiste. Cette définition part, on le sait, d’une analyse critique des résultats du processus révolutionnaire de ce point de vue, il s’agit pour Marx, sans l’ombre d’un doute, d’une révolution bourgeoise. Cette idée n’était pas, en elle-même, nouvelle la nouveauté de Marx a été de fusionner la critique communiste des limites de la Révolution française depuis Baboeuf et Buonarroti jusqu’à Mosses Hess avec son analyse de classe par les historiens de l’époque de la Restauration Mignet, Thiers, Thierry, etc., et de situer le tout dans le cadre de l’histoire mondiale, grâce à sa méthode historique matérialiste. Il en résulte une vision d’ensemble, vaste et cohérente, du paysage révolutionnaire français, qui fait ressortir la logique profonde des événements au-delà des multiples détails des épisodes héroïques ou crapuleux, des reculs et des avancées. Une vision critique et démystificatrice qui dévoile, derrière la fumée des batailles et l’ivresse des discours, la victoire d’un intérêt de classe, l’intérêt de la bourgeoisie. Comme il le souligne dans un passage brillant et ironique de La Sainte-Famille 1845, qui saisit en un trait de plume le fil rouge de l’histoire la puissance de cet intérêt fut telle qu’il vainquit la plume d’un Marat, la guillotine des hommes de la Terreur, le glaive de Napoléon, tout comme le crucifix et le sang-bleu des Bourbons »[2]. En réalité, la victoire de cette classe fut, en même temps, l’avènement d’une nouvelle civilisation, de nouveaux rapports de production, de nouvelles valeurs – non seulement économiques mais aussi sociales et culturelles – bref, d’un nouveau mode de vie. Ramassant en un paragraphe la signification historique des révolutions de 1848 et de 1789 mais ses remarques sont plus pertinentes pour la dernière que pour la première, Marx observe, dans un article de la Nouvelle Gazette Rhénane en 1848 Elles étaient le triomphe de la bourgeoisie, mais le triomphe de la bourgeoisie était alors le triomphe d’un nouveau système social, la victoire de la propriété bourgeoise sur la propriété féodale, du sentiment national sur le provincialisme, de la concurrence sur le corporatisme, du partage sur le majorat, … des lumières sur la superstition, de la famille sur le nom, de l’industrie sur la paresse héroïque, du droit bourgeois sur les privilèges moyenâgeux. »[3] Bien entendu, cette analyse marxienne sur le caractère – en dernière analyse – bourgeois de la Révolution française n’était pas un exercice académique d’historiographie elle avait un but politique précis. Elle visait, en démystifiant 1789, à montrer la nécessité d’une nouvelle révolution, la révolution sociale – celle qu’il désigne, en 1844, comme l’émancipation humaine » en opposition à l’émancipation uniquement politique et, en 1846, comme la révolution communiste. Une des caractéristiques principales qui distingueront cette nouvelle révolution de la Révolution française de 1789-1794 sera, selon Marx, son antiétatisme », sa rupture avec l’appareil bureaucratique aliéné de l’État. Jusqu’ici, toute les révolutions ont perfectionné cette machine au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considèrent la conquête de cette immense édifice D’État comme la principale proie du vainqueur ». Présentant cette analyse dans Le Dix-Huit Brumaire, il observe – de façon analogue à Tocqueville – que la Révolution française n’a fait que développer l’œuvre commencée par la monarchie absolue la centralisation, … l’étendue, les attributs et les exécutants du pouvoir gouvernemental. Napoléon acheva de perfectionner cette machinerie d’État ». Toutefois, pendant la monarchie absolue, la révolution et le Premier Empire, cet appareil n’a été qu’un moyen de préparer la domination de classe de la bourgeoisie, qui s’exercera plus directement sous Louis-Philippe et la République de 1848… Quitte à faire la place à nouveau, à l’autonomie du politique durant le Second Empire – quand l’État semble s’être rendu complètement indépendant ». En d’autres termes l’appareil étatique sert les intérêts de classe de la bourgeoisie sans être nécessairement sous son contrôle direct. Ne pas toucher au fondement de cette machine parasitaire et aliénée est une des limitations bourgeoises les plus décisives de la Révolution française selon Marx. Comme l’on sait, cette idée esquissée en 1852 sera développée en 1871 dans ses écrits sur la Commune – premier exemple de révolution prolétarienne qui brise l’appareil d’État et en fini avec ce boa constrictor » qui enserre le corps social dans les mailles universelles de sa bureaucratie, de sa police, de son armée permanente ». La Révolution française, par son caractère bourgeois, ne pouvait pas émanciper la société de cette excroissance parasitaire », de ce grouillement de vermine d’État », de cette énorme parasite gouvernemental »[4]. Les tentatives récentes des historiens révisionnistes pour dépasser » l’analyse marxienne de la Révolution française aboutissent généralement à une régression vers des interprétations plus anciennes, libérales ou spéculatives. Se confirme ainsi la remarque profonde de Sartre le marxisme est l’horizon indépassable de notre époque et les tentatives pour aller au-delà » de Marx finissent souvent par tomber en deçà de lui. On peut illustrer ce paradoxe par la démarche du représentant le plus talentueux et le plus intelligent de cette école, François Furet, qui ne trouve pas d’autres chemins pour dépasser Marx que… le retour à Hegel. Selon Furet, l’idéalisme hégélien se préoccupe infiniment plus des données concrètes de l’histoire de France du XVIIIe siècle que le matérialisme de Marx ». Quelles sont donc ces données concrètes » infiniment plus importantes que les rapports de production et la lutte de classes ? Il s’agit du long travail de l’esprit dans l’histoire »… Grâce à lui l’esprit avec un E majuscule, nous pouvons enfin comprendre la vraie nature de la Révolution française plutôt que le triomphe d’une classe sociale, la bourgeoisie, elle est l’affirmation de la conscience de soi comme volonté libre, coextensive avec l’universel, transparente à elle-même, réconciliée avec l’être ». Cette lecture hégélienne des événements conduit Furet à la curieuse conclusion que la Révolution française a abouti à un échec », dont il faudrait chercher la cause dans une erreur » vouloir déduire le politique du social ». Le responsable de cet échec » serait, en dernière analyse… Jean-Jacques Rousseau. L’erreur de Rousseau et de la Révolution française tient dans la tentative d’affirmer l’antécédence du social sur l’État ». Hegel, en revanche, avait parfaitement compris qu’ il n’y a qu’à travers l’État, cette forme supérieure de l’histoire, que la société s’organise selon la raison ». C’est une interprétation possible des contradictions de la Révolution française, mais est-elle vraiment infiniment plus concrète » que celle esquissée par Marx ?[5] Quel fut le rôle de la classe bourgeoise ? Reste à savoir dans quelle mesure cette révolution bourgeoise a été effectivement menée, impulsée et dirigée par la bourgeoisie. On trouve dans certains textes de Marx de véritables hymnes à la gloire de la bourgeoisie révolutionnaire française de 1789 ; il s’agit presque toujours d’écrits qui la comparent avec son équivalent social outre-Rhin, la bourgeoisie allemande du XIXe siècle. Dès 1844, il regrette l’inexistence en Allemagne d’une classe bourgeoise pourvue de cette grandeur d’âme qui s’identifie, ne serait-ce qu’un moment, à l’âme du peuple, de ce génie qui inspire à la force matérielle l’enthousiasme pour la puissance politique, de cette hardiesse révolutionnaire qui lance à l’adversaire en guise de défi je ne suis rien et je devrais être tout ».[6] Dans ses articles écrits pendant la révolution de 1848, il ne cesse de dénoncer la lâcheté » et la trahison » de la bourgeoisie allemande, en la comparant au glorieux paradigme français La bourgeoisie prussienne n’était pas la bourgeoisie française de 1789, la classe qui, face aux représentants de l’ancienne société, de la royauté et de la noblesse, incarnait à elle seule toute la société moderne. Elle était déchue au rang d’une sorte de caste … encline dès l’abord à trahir le peuple et à tenter des compromis avec le représentant couronné de l’ancienne société ».[7] Dans un autre article de la Nouvelle Gazette Rhénane juillet 1848, il examine de façon plus détaillée ce contraste la bourgeoisie française de 1789 n’abandonnera pas un instant ses alliés, les paysans. Elle savait que la base de sa domination était la déconstruction de la féodalité à la campagne, la création d’une classe paysanne libre, possédant des terres. La bourgeoisie de 1848 trahit sans aucune hésitation les paysans, qui sont ses alliés les plus naturels, la chair de sa chair, et sans lesquels elle est impuissante face à la noblesse ».[8] Cette célébration des vertus révolutionnaires de la bourgeoisie française va inspirer plus tard surtout au XXe siècle toute une vision linéaire et mécanique du progrès historique chez certains courants marxistes. Nous en reparlerons plus loin. En lisant ces textes, on a parfois l’impression que Marx n’exalte autant la bourgeoisie révolutionnaire de 1789 que pour mieux stigmatiser sa misérable » contrefaçon allemande de 1848. Cette impression est confirmée par des textes quelque peu antérieurs à 1848, où le rôle de la bourgeoisie française apparaît bien moins héroïque. Dans L’Idéologie allemande, par exemple, il observe à propos de la décision des États Généraux de se proclamer en Assemblée souveraine L’Assemblée Nationale fut forcé de faire ce pas en avant, poussée qu’elle était par la masse innombrable qui se tenait derrière elle. »[9] Et, dans un article de 1847, il affirme au sujet de l’abolition révolutionnaire des vestiges féodaux en 1789-1794 Timorée et conciliante comme elle l’est, la bourgeoisie ne fût venue à bout de cette besogne même en plusieurs décennies. Par conséquent, l’action sanglante du peuple n’a fait que lui préparer les voies. »[10] Si l’analyse marxienne du caractère bourgeois de la Révolution est d’une remarquable cohérence et clarté, la même chose ne peut être dite pour ses tentatives d’interpréter le jacobinisme, la Terreur, 1793. Confronté au mystère jacobin, Marx hésite. Cette hésitation est visible dans les variations d’une période à l’autre, d’un texte à l’autre, et parfois à l’intérieur d’un même document… Toutes les hypothèses qu’il avance ne sont pas du même intérêt. Certaines, assez extrêmes – et d’ailleurs mutuellement contradictoires -, sont peu convaincantes. Par exemple, dans un passage de L’Idéologie allemande, il présente la Terreur comme la mise en pratique du libéralisme énergique de la bourgeoisie » ! Or, quelques pages plus tôt, Robespierre et Saint-Just sont définis comme les authentiques représentants des forces révolutionnaires la masse innombrable » »…[11] Cette dernière hypothèses est encore une fois suggérée dans un passage de l’article contre Karl Heinzen, de 1847 si, comme en 1794, … le prolétariat renverse la domination politique de la bourgeoisie » avant que les conditions matérielles de son pouvoir ne soient données, sa victoire ne sera que passagère » et servira, en dernière analyse, à la révolution bourgeoise elle-même.[12] La formulation est indirecte et la référence à la Révolution française n’est faite qu’en passant, en vue d’un débat politique actuel, mais il est tout de même surprenant que Marx ait pu envisager les événements de 1794 comme une victoire du prolétariat »… D’autres interprétations sont plus pertinentes et peuvent être considérées comme réciproquement complémentaires a La Terreur est un moment d’autonomisation du politique qui entre en conflit violent avec la société bourgeoise. Le locus classicus »de cette hypothèse est un passage de La Question Juive 1844 Évidement à des époques où l’Etat politique comme tel naît violemment de la société bourgeoise … l’Etat peut et doit aller jusqu’à la suppression de la religion … mais uniquement comme il va jusqu’à la suppression de la propriété privée, au maximum, à la confiscation, à l’impôt progressif, à la suppression de la vie, à la guillotine. … La vie politique cherche à étouffer ses conditions primordiales, la société bourgeoise et ses éléments pour s’ériger en vie générique véritable et absolue de l’homme. Mais elle ne peut atteindre ce but qu’en se mettant en contradiction violente avec ses propres conditions d’existence, en déclarant la révolution à l’état permanent ; aussi le drame politique se termine-t-il nécessairement par la restauration de tous les éléments de la société bourgeoise ».[13] Le jacobinisme apparaît sous cet éclairage comme une tentative vaine et nécessairement avortée d’affronter la société bourgeoise à partir de l’Etat de façon strictement politique. b Les hommes de la Terreur – Robespierre, Saint-Just et leur parti »– ont été victimes d’une illusion ils ont confondu l’antique république romaine avec l’Etat représentatif moderne. Pris dans une contradiction insoluble, ils ont voulu sacrifier la société bourgeoise à un mode antique de vie politique ». Cette idée, développée dans La Sainte Famille, implique comme l’hypothèse antérieure, une période historique d’exaspération et d’autonomisation du politique. Elle aboutit à la conclusion, quelque peu surprenante, que Napoléon est l’héritier du jacobinisme il a représenté la dernière bataille du terrorisme révolutionnaire contre la société bourgeoise, proclamée elle aussi par la révolution, et contre sa politique ». Il est vrai qu’il n’avait rien d’un terroriste exalté » ; néanmoins, il considérait encore l’Etat comme une fin en soi, et la vie civile uniquement comme son trésorier et comme son subalterne, qui devait renoncer à toute volonté propre. Il accompli le terrorisme en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente ».[14] On retrouve cette thèse dans Le Dix-Huit Brumaire 1852, mais cette fois Marx insiste sur la ruse de la raison qui fait des Jacobins et de Bonaparte les accoucheurs de cette même société bourgeoise qu’ils méprisaient Camille Desmoulin, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse lors de l’ancienne Révolution française accomplirent dans le costume romain, et avec la phraséologie romaine, la tâche de leur époque, à savoir la libération et l’instauration de la société bourgeoise moderne. … La nouvelle forme de société une fois établie, disparurent les colosses antédiluviens et, avec eux, la Rome ressuscitée les Brutus, les Gracchus, les Publicola, les Tribuns, les Sénateurs, et César lui-même. La société bourgeoise, dans sa sobre réalité, s’était créée ses véritables interprètes et porte-parole dans la personne des Say, des Cousin, des Royer-Collard, des Benjamin Constant et des Guizot. »[15] Robespierre et Napoléon, même combat ? La formule est discutable. On la trouvait déjà sous la plume des libéraux tels que Madame de Staël qui décrivait Bonaparte comme un Robespierre à cheval ». Chez Marx, en tout cas, elle montre le refus de toute filiation directe entre jacobinisme et socialisme. Cependant, on a l’impression qu’elle relève moins d’une critique du jacobinisme comme chez Daniel Guérin un siècle plus tard que d’une certaine idéalisation » de l’homme du Dix-Huit Brumaire, considéré par Marx – en accord avec une tradition de la gauche rhénane par exemple Heine – comme le continuateur de la Révolution française. c La Terreur a été une méthode plébéienne d’en finir de façon radicale avec les vestiges féodaux et dans ce sens elle a été fonctionnelle pour l’avènement de la société bourgeoise. Cette hypothèse est suggérée dans plusieurs écrits, notamment l’article sur La bourgeoisie et la contre-révolution »de 1848. Analysant le comportement des couches populaires urbaines le prolétariat et les autres catégories sociales n’appartenant pas à la bourgeoisie », Marx affirme Même là où elles s’opposaient à la bourgeoisie, comme par exemple de 1793 à 1794 en France, elle ne luttaient que pour faire triompher les intérêts de la bourgeoisie, quand bien même ce n’était pas à sa manière. Toute la Terreur en France ne fut rien d’autre qu’une méthode plébéienne d’en finir avec les ennemis de la bourgeoisie, l’absolutisme, le féodalisme et l’esprit petit-bourgeois ».[16] L’avantage évident de cette analyse était d’intégrer les événements de 1793-1794 dans la logique d’ensemble de la Révolution française – l’avènement de la société bourgeoise. Utilisant la méthode dialectique, Marx montre que les aspects anti-bourgeois » de la Terreur n’ont servi, en dernière analyse, qu’à mieux assurer le triomphe social et politique de la bourgeoisie. Le marxisme et le jacobinisme Les trois aspects mis en évidence par ces trois lignes d’interprétation du jacobinisme – l’hypertrophie du politique en lutte contre la société bourgeoise, l’illusion de revenir à la République antique et le rôle d’instrument plébéien au service des intérêts objectifs de la bourgeoisie – sont tout à fait compatibles et permettent de saisir différentes facettes de la réalité historique. On est cependant frappés par deux aspects d’une part, l’importance quelque peu excessive que Marx attribue à l’illusion romaine comme clé explicative du comportement des Jacobins. D’autant plus qu’une des exigences du matérialisme historique est d’expliquer les idéologies et les illusions par la position et les intérêts des classes sociales… Or, il n’y a pas chez Marx ou Engels une tentative, même approximative, de définir la nature de classe du jacobinisme. Ce ne sont pas des analyses de classe qui manquent dans ses écrits sur la Révolution française le rôle de l’aristocratie, du clergé, de la bourgeoisie, des paysans, de la plèbe urbaine et même du prolétariat » concept un peu anachronique dans la France du XVIIIe siècle sont passés en revue. Mais le jacobinisme reste suspendu dans l’air, dans le ciel de la politique antique » – ou alors associé de façon un peu rapide à l’ensemble des couches plébéiennes, non bourgeoises. Si dans les œuvres sur la révolution de 1848-1852 Marx n’hésite pas à qualifier les héritiers modernes de la Montagne comme démocrates petits-bourgeois », il est très rare qu’il étende cette définition sociale aux Jacobins de 1793. Un des seuls passages où cela est suggéré se trouve dans la circulaire de mars 1850 à la Ligue des Communistes Tout comme lors de la première Révolution française, les petits-bourgeois donneront les terres féodales en tant que libre propriété aux paysans, c’est à dire qu’ils voudront … favoriser une classe paysanne petite-bourgeoise qui accomplisse le même cycle de paupérisation et d’endettement dans lequel le paysan français est actuellement renfermé ».[17] Mais ils ’agit à nouveau d’une remarque en passant », où les Jacobins ne sont même pas explicitement désignés. C’est un fait curieux, mais il y a très peu d’éléments chez Marx ou Engels pour une analyse de classe des contradictions du jacobinisme – comme par exemple celle de Daniel Guérin, selon lequel le parti jacobin était à la fois petit-bourgeois à la tête et populaire à la base ».[18] En tous cas, une chose est claire 1793 n’était pas du tout, à ses yeux, un paradigme pour la future révolution prolétarienne. Quelle que soit son admiration pour la grandeur historique et l’énergie révolutionnaire d’un Robespierre ou d’un Saint-Just, le jacobinisme est explicitement refusé comme modèle ou source d’inspiration de la praxis révolutionnaire socialiste. Cela apparaît dès les premiers textes communistes de 1844, qui opposent l’émancipation sociale aux impasses et illusions du volontarisme politique des hommes de la Terreur. Mais c’est au cours des années 1848-1852, dans les écrits sur la France, que Marx va dénoncer, avec la plus grande insistance, la superstition traditionnelle en 1793 », les pédants de la vieille tradition de 1793 », les illusions des républicains de la tradition de 1793 », et tous ceux qui se grisent de l’opium des sentiments et des formules patriotiques de 1793 ». Raisonnement qui le conduit à la célèbre conclusion formulée dans Le Dix-Huit Brumaire La révolution sociale du XIXe siècle ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle même avant d’avoir liquidé complètement toute superstition à l’égard du passé ».[19] C’est une affirmation bien discutable – la Commune de 1793 a inspirée celle de 1871 et celle-ci, à son tour, a nourri Octobre 1917 -, mais elle témoigne de l’hostilité de Marx a toute résurgence du jacobinisme dans le mouvement prolétarien. Cela ne signifie nullement que Marx ne perçoit pas, au sein de la Révolution française, des personnages, des groupes et des mouvements précurseurs du socialisme. Dans un passage très connu de La Sainte-Famille, il passe rapidement en revue les principaux représentants de cette tendance Le mouvement révolutionnaire qui commença en 1789 au cercle social, qui, au milieu de sa carrière, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber provisoirement avec la conspiration de Babeuf, avait fait germer l’idée communiste que l’ami de Babeuf, Buonarroti réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, développée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel état du monde ».[20] Curieusement, Marx ne semble s’intéresser qu’à l’idée communiste, et ne prête pas beaucoup d’attention au mouvement social, à la lutte des classes au sein du Tiers Etat. Par ailleurs, il ne s’occupera plus, dans ses écrits postérieurs, de ces germes communistes » de la Révolution française à l’exception de Babeuf et n’essaiera jamais d’étudier les affrontements de classes entre bourgeois et bras-nus au cours de la Révolution. Chez le vieux Engels en 1889, on trouve quelques références rapides au conflit entre la Commune Hébert, Chaumette et le Comité de Salut Public Robespierre, mais il n’est pas question du courant enragé représenté par Jacques Roux.[21] Parmi ces figures de précurseurs, Babeuf est donc le seul qui semble réellement important aux yeux de Marx et d’Engels, qui s’en réfèrent à plusieurs reprises. Par exemple, dans l’article contre Heinzen 1847, Marx observe La première apparition d’un parti communiste réellement agissant se trouve dans le cadre de la révolution bourgeoise, au moment où la monarchie constitutionnelle est supprimée. Les républicains les plus conséquents, en Angleterre les Niveleurs, en France Babeuf, Buonarroti, sont les premiers à avoir proclamé ces questions sociales. La conspiration de Babeuf, décrite par son ami et compagnon Buonarroti, montre comment ces républicains ont puisé dans le mouvement de l’histoire l’idée qu’en éliminant la question sociale de la monarchie ou de la république, on n’avait pas encore résolu la moindre question sociale dans le sens du prolétariat ». D’autre part, la phrase, dans le Manifeste Communiste », qui décrit les premières tentatives du prolétariat pour imposer directement son propre intérêt de classe » – tentatives qui ont eu lieu dans la période du bouleversement de la société féodale -, se réfère elle aussi à Babeuf[22] explicitement mentionné dans ce contexte. Cet intérêt est compréhensible, dans la mesure où plusieurs courants communistes dans la France d’avant 1848 étaient plus ou moins directement inspirés par le babouvisme. Mais la question des mouvements populaires sans-culottes » anti-bourgeois – et plus avancés que les Jacobins – des années 1793-1794 reste peu abordée par Marx ou Engels. Une révolution permanente ? Peut-on dire dans ces conditions que Marx a perçu, dans la Révolution française, non seulement la révolution bourgeoise mais aussi une dynamique de révolution permanente, en embryon de révolution prolétarienne » débordant du cadre strictement bourgeois ? Oui et non… Il est vrai, comme nous l’avons vu plus haut, que Marx utilise en 1843-1844 le terme révolution permanente » pour désigner la politique de la Terreur. Daniel Guérin interprète cette formule comme allant dans le sens de sa propre interprétation de la Révolution française Marx employa l’expression de révolution permanente à propos de la Révolution française. Il montra que le mouvement révolutionnaire de 1793 tenta un moment de dépasser les limites de la révolution bourgeoise ».[23] Cependant, le sens de l’expression chez Marx dans La Question Juive n’est pas du tout identique à celui que lui attribue Guérin la révolution permanente » ne désigne pas à ce moment un mouvement social, semi-prolétarien, qui essaie de développer la lutte de classes contre la bourgeoisie – en débordant le pouvoir jacobin -, mais une vaine tentative de la vie politique » incarnée par les Jacobins pour s’émanciper de la société civile/bourgeoise et supprimer celle-ci par la guillotine. La comparaison que Marx esquisse un an plus tard La Sainte-Famille entre Robespierre et Napoléon, ce dernier étant censé accomplir la Terreur en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente », illustre bien la distance entre cette formule et l’idée d’un germe de révolution prolétarienne. L’autre exemple que donne Guérin dans le même paragraphe est un article de janvier 1849 où Engels indique la révolution permanente » comme un des traits caractéristiques de la glorieuse année 1793 ». Or, dans cet article, Engels mentionne comme exemple contemporain de cette révolution permanente » le soulèvement national/populaire hongrois de 1848 dirigé par Lajos Kossuth, qui était pour sa nation Danton et Carnot en une seule personne ». Il est évident que pour Engels ce terme était simplement synonyme de mobilisation révolutionnaire du peuple et n’avait pas du tout le sens d’une transcroissance socialiste de la révolution.[24] Ces remarques ne visent pas à critiquer Daniel Guérin mais au contraire à mettre en relief la profonde originalité de sa démarche il n’a pas simplement développé des indications déjà présentes chez Marx et Engels, mais a formulé, en utilisant la méthode marxiste, une interprétation nouvelle, qui met en évidence la dynamique permanentiste » du mouvement révolutionnaire des bras-nus en 1793-1794. Cela dit il n’y a pas de doute que l’expression révolution permanente » est étroitement associée, chez Marx et Engels, aux souvenirs de la Révolution française. Ce lien se situe à trois niveaux -L’origine immédiate de la formule renvoie probablement au fait que les clubs révolutionnaires se déclaraient souvent comme assemblés en permanence ». Cette expression apparaît d’ailleurs dans un des livres allemands sur la révolution que Marx avait lu en 1843-1844.[25] -L’expression implique aussi l’idée d’une avancée ininterrompue de la révolution, de la monarchie à la constitutionnelle, de la république girondine à la jacobine, etc. -Dans le contexte des articles de 1843-1844, elle suggère une tendance de la révolution politique dans sa forme jacobine à devenir une fin en soi et à entrer en conflit avec la société civile/bourgeoise. En revanche, l’idée de révolution permanente au sens fort – celui du marxisme révolutionnaire du XXe siècle – apparaît chez Marx pour la première fois en 1844, à propos de l’Allemagne. Dans l’article Contributions à la critique de la philosophie du droit de Hegel », il constate l’incapacité pour la bourgeoisie allemande de remplir son rôle révolutionnaire au moment où elle se met en lutte contre la royauté et la noblesse, le prolétaire est déjà engagé dans le combat contre le bourgeois. A peine la classe moyenne ose-t-elle concevoir, de son point de vue, la pensée de son émancipation, que déjà l’évolution des conditions sociales et le progrès de la théorie politique déclare ce point de vue périmé, ou du moins problématique ». Il s’ensuit qu’en Allemagne, ce n’est pas la révolution radicale, l’émancipation universellement humaine qui est […] un rêve utopique ; c’est bien plutôt la révolution partielle, la révolution purement politique, la révolution qui laisse subsister les piliers de la maison ». En d’autres termes En France, l’émancipation partielle est le fondement de l’émancipation universelle. En Allemagne, l’émancipation universelle est la condition sine qua non de toute émancipation partielle.[26] C’est donc en opposition au modèle purement politique », partiel » de la Révolution française que s’esquisse, dans un langage encore philosophique l’idée que la révolution socialiste devra, dans certains pays, accomplir les tâches historiques de la révolution démocratique-bourgeoise. Ce n’est qu’en mars 1850, dans la circulaire à la Ligue des Communistes, que Marx et Engels vont fusionner l’expression française avec l’idée allemande, la formule inspirée par la révolution de 1789-1794 avec la perspective d’une transcroissance prolétarienne de la révolution démocratique allemande Tandis que les petits-bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite … il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toute les classes plus ou moins possédantes aient été chassées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir public » dans les principaux pays du monde, et concentré dans ses mains les forces productives décisives ».[27] C’est dans ce document que l’expression révolution permanente » gagne pour la première le sens qu’elle aura par la suite au cours du XXe siècle notamment chez Trotsky. Dans sa nouvelle conception, la formule garde de son origine et du contexte historique de la Révolution française surtout le deuxième aspect mentionné ci-dessus l’idée d’une progression, d’une radicalisation et d’un approfondissement ininterrompus de la révolution. On retrouve aussi l’aspect de la confrontation avec la société civile/bourgeoise mais contrairement au modèle jacobin de 1793, celle-ci n’est plus l’œuvre terroriste nécessairement vouée à l’échec de la sphère politique en tant que telle – qui essaie en vain de s’attaquer à la propriété privée par la guillotine – mais bien de l’intérieur de la société civile elle-même, sous la forme de révolution sociale prolétarienne. Quel héritage ? Quel est donc l’héritage de la Révolution française pour le marxisme du XXe siècle ? Comme nous l’avons vu, Marx pensait que le prolétariat socialiste devait se débarrasser du passé révolutionnaire du XVIIIe siècle. La tradition révolutionnaire lui apparaît comme un phénomène essentiellement négatif La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crises révolutionnaires qu’ils appellent craintivement les esprits du passé à leur rescousse, qu’ils leurs empruntent leurs noms, leurs mot d’ordres, leurs costumes. … Les révolutions antérieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution du XIXe siècle doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet. »[28] Bien entendu, cette remarque se situe dans un contexte précis, celui d’une polémique de Marx contre la caricature de Montagne » des années 1848-1852, mais elle présente aussi une visée plus générale. Il me semble que Marx a à la fois raison et tort… Il a raison, dans la mesure où les marxistes ont souvent voulu s’inspirer, au cours du XXe siècle, du paradigme de la Révolution française, avec des résultats assez négatifs. C’est le cas, tout d’abord, du marxisme russe, dans ses deux grandes branches Plékhanov et les mencheviques – qui croyaient que la bourgeoisie démocratique russe allait jouer dans la lutte contre le tsarisme le même rôle révolutionnaire que la bourgeoisie française a joué selon Marx dans la révolution de 1789. A partir de ce moment, le concept de bourgeoisie révolutionnaire »est entré dans le vocabulaire des marxistes et est devenu un élément clé dans l’élaboration des stratégies politiques – en ignorant l’avertissement de Marx, à propos de l’Allemagne mais avec des indications plus générales les classes bourgeoises qui arrivent trop tard qui sont déjà menacées par le prolétariat ne pourront pas avoir une pratique révolutionnaire conséquente. Bien entendu, grâce au stalinisme, le dogme de la bourgeoisie démocratique-révolutionnaire ou nationale et l’idée d’une répétition – dans des nouvelles conditions – du paradigme de 1789 ont été une composante essentielle de l’idéologie du mouvement communiste dans les pays coloniaux, semi-coloniaux et dépendants, depuis 1926, avec des conséquences néfastes pour les classes dominées. Lénine et les bolcheviques qui n’avaient pas, eux, des illusions sur la bourgeoisie libérale russe, mais qui avaient pris surtout avant 1905, le jacobinisme comme modèle politique. Il en résultait une conception souvent autoritaire du parti, de la révolution et du pouvoir révolutionnaire… Rosa Luxemburg et Léon Trotsky vont critiquer – notamment au cours des années 1903-1905 – ce paradigme jacobin, en insistant sur la différence essentielle entre l’esprit, les méthodes, les pratiques et les formes d’organisation marxistes et celles de Robespierre et ses amis. On peut considérer L’Etat et la Révolution, de Lénine, comme un dépassement de ce modèle jacobin. Traiter Staline et ses acolytes d’héritiers du jacobinisme serait trop injuste envers les révolutionnaires de 1793, et comparer la Terreur du Comité de Salut Public avec celle du GPU des années 1930 est une absurdité historique évidente. En revanche, on peut repérer la présence d’un élément jacobin chez un marxiste aussi subtile et novateur qu’Antonio Gramsci. Tandis que, dans ses articles de 1919 pour Ordine Nuovo, il proclamait que le parti prolétarien ne doit pas être un parti qui se sert de la masse pour tenter une imitation héroïque des Jacobins français », dans ses Cahiers de Prison des années 1930, on trouve une vision assez autoritaire du parti d’avant-garde présentée explicitement comme l’héritier légitime de la tradition de Machiavel et des Jacobins.[29] A un autre niveau, il me semble toutefois que Marx avait tort de nier toute valeur pour le combat socialiste à la tradition révolutionnaire de 1789-1794. Sa propre pensée en est un excellent exemple l’idée même de révolution dans ses écrits et ceux d’Engels, comme mouvement insurrectionnel des classes dominées qui renverse un Etat oppresseur et un ordre social injuste, a été dans une très large mesure inspirée par cette tradition… D’une façon plus générale, la grande Révolution française fait partie de la mémoire collective du peuple travailleur – en France, en Europe et dans le monde entier – et constitue une des sources vitales de la pensée socialiste, dans toutes ses variantes communisme et anarchisme y compris. Contrairement à ce qu’avait écrit Marx dans Le Dix-Huit Brumaire, sans poésie du passé », il n’y a pas de rêve d’avenir… D’une certaine manière, l’héritage de la Révolution française reste encore aujourd’hui, vivant, actuel, actif. Il garde quelque chose d’inachevé… Il contient une promesse non encore accomplie. Il est le commencement d’un processus qui n’est pas encore terminé. La meilleure preuve en est les tentatives répétées et insistantes de mettre fin, une bonne fois pour toutes, officiellement et définitivement, à la Révolution française. Napoléon a été le premier à décréter, le Dix-Huit Brumaire, que la révolution était finie. D’autres se sont livrés, au cours des siècles, à ce type d’exercices, repris aujourd’hui avec un bel aplomb par François Furet. Or, qui aurait de nos jours l’idée saugrenue de déclarer terminée » la Révolution anglaise de 1648 ? Ou la Révolution américaine de 1778 ? Ou la Révolution de 1830 ? Si l’on s’acharne tellement sur celle de 1789-1794, c’est précisément parce qu’elle est loin d’être terminée – c’est à dire parce qu’elle continue à manifester ses effets dans le champ politique et dans la vie culturelle, dans l’imaginaire social et dans les luttes idéologiques en France et ailleurs. Quels sont les aspects de cet héritage les plus dignes d’intérêts ? Quelles sont les esprits du passé Marx qui méritent d’être évoqués deux cent ans après ? Quels sont les éléments de la tradition révolutionnaire de 1789-1794 qui témoignent le plus profondément de cet inachèvement ? On pourrait en mentionner au moins quatre, parmi les plus importants 1. La Révolution française a été un moment privilégié dans la constitution du peuple opprimé – la masse innombrable Marx des exploités – comme sujet historique, comme acteur de sa propre libération. Dans ce sens, elle a été un pas gigantesque dans ce que Ernst Bloch appelle la marche debout de l’Humanité » – un processus historique qui est encore loin d’être achevé… Bien sûr, on en trouve des précédents dans les mouvements antérieurs la Guerre des Paysans du XVIe siècle, la Révolution anglaise du XVIIe siècle, mais aucun n’atteint la clarté, la force politique et morale, la vocation universelle et hardiesse spirituelle de la révolution de 1789-1974 – jusqu’à cette époque, la plus colossale Marx de toutes. 2. Au cours de la Révolution française sont apparus des mouvements sociaux dont les aspirations dépassaient les limites bourgeoises du processus initié en 1789. Les principales forces de ce mouvement – les bras-nus, les femmes républicaines, les Enragés, les Egaux et leurs porte-paroles Jacques Roux, Leclerc, etc. – ont été vaincues, écrasées, guillotinées. Leur mémoire – systématiquement refoulée de l’histoire officielle – fait partie de la tradition des opprimés dont parlait Walter Benjamin, la tradition des ancêtres martyrisés dont se nourrit le combat d’aujourd’hui. Les travaux de Daniel Guérin et Maurice Dommanget – deux marginaux extérieurs à l’historiographie universitaire – ont sauvé de l’oubli les bras-nus et les Enragés, tandis que des recherches plus récentes découvrent peu à peu toute la richesse de la moitié cachée » du peuple révolutionnaire les femmes. 3. La Révolution française a fait germer les idées d’un nouvel état du monde », les idées communistes le cercle social », Babeuf, Sylvain Maréchal, François Bossel, etc. et féministes Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt. L’explosion révolutionnaire a libéré des rêves, des images de désir et des exigences sociales radicales. Dans ce sens aussi elle est porteuse d’un avenir qui reste ouvert et inachevé. 4. Les idéaux de la Révolution française – Liberté, Egalité, Fraternité, les Droits de l’Homme notamment dans leur version de 1793, la souveraineté du Peuple – contiennent un surplus utopique »Ernest Bloch qui déborde l’usage qu’en a fait la bourgeoisie. Leur réalisation effective exige l’abolition de l’ordre bourgeois. Comme le souligne avec une force visionnaire Ernest Bloch, liberté, égalité, fraternité font aussi partie des engagements qui ne furent pas honorés, ils ne sont donc pas encore réglés, éteints ». Ils possèdent en eux cette promesse, et cette teneur utopique concrète d’une promesse » qui ne sera réalisée que par la révolution socialiste et par la société sans classe. En un mot liberté, égalité, fraternité – l’orthopédie telle qu’on l’a tentée, de la marche debout, de la fierté humaine – renvoie bien au-delà de l’horizon bourgeois ».[30] Conclusion et morale de l’Histoire avec un H » majuscule la Révolution française de 1789-1794 n’a été qu’un début. Le combat continue… Ce texte a été publié dans l’ouvrage collectif Permanences de la Révolution, Paris, Éditions la Brèche, 1989. La retranscription et les intertitres ont été établis par le site Notes [1] K. Marx, Die Deutsche Ideologie », 1846, Berlin, Dietz Verlag, 1960, p. 92. [2] K. Marx, Die Heilige Familie », 1845, Berlin, Dietz Verlag, 1953, p. 196. [3] K. Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution », 1848, dans Marx et Engels, Sur la Révolution française » SRF, Messidor, 1985, p. 121. Outre ce recueil préparé pour les Editions Sociales par Claude Mainfroy, il en existe un autre, contenant uniquement les écrits de Marx avec une longue introduction de F. Furet rassemblés par Lucien Calviez Marx et la Révolution française » MRF, Flammarion, 1986. Les deux recueils sont incomplets. J’utilise tantôt l’un, tantôt l’autre, et parfois l’original allemand notamment pour les textes qui ne figurent dans aucun des recueils. [4] K. Marx, Le Dix-Huit Brumaire », cité dans SRF, p. 148 ; – Id., La Guerre Civile en France » premier et second essai de rédaction, cité dans SRF, p. 187-192. [5] F. Furet, Marx et la Révolution française », Flammarion, 1986, p. 81-84. Cf. p. 83 Mais pour affirmer l’universalité abstraite de la liberté, la Révolution a dû procéder par une scission entre société civile et Etat, en déduire, pour ainsi dire, le politique du social. C’est son erreur, c’est son échec, en même temps que celui des théories du contrat, et notamment de Rousseau. » [6] K. Marx, Introduction à la Contribution à la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel », 1944, NRF, p. 152. [7] K. Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution », 1848, dans Marx et Engels, Sur la Révolution française » SRF, Messidor, 1985, p. 123. [8] K. Marx, Projet de Loi sur l’abrogation des charges féodales », 1848, SRF, p. 107. [9] K. Marx, L’Idéologie allemande », cité dans NRF p. 187. [10] K. Marx, La critique moralisante et la morale critique contre Karl Heinzen », NRF p. 207. [11] K. Marx, L’Idéologie allemande », cité dans NRF p. 184 et 181. [12] K. Marx, La critique moralisante et la morale critique contre Karl Heinzen », SRF p. 90. [13] K. Marx, La Question Juive », 1844, Oeuvres Philosophiques, Costes, 1934, p. 180-181. Je reviendrai plus bas sur le sens qu’il faudrait attribuer à l’expression révolution à l’état permanent » dans ce contexte. [14] K. Marx, La Sainte-Famille », 1845, cité dans NRF p. 170-171. [15] K. Marx, Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte », 1852, cité dans SRF p. 145-146. [16] K. Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution », 1848, dans Marx et Engels, Sur la Révolution française » SRF, Messidor, 1985, p. 121. Cf. aussi l’article contre Karl Heinzen de 1847 En assénant ces violents coups de masse, la Terreur ne devait donc servir en France qu’à faire disparaître du territoire français, comme par enchantement, les ruines féodales. La bourgeoisie timorée et conciliante n’eût pas eu assez de plusieurs décennies pour accomplir cette besogne. » SRF, p. 90. [17] K. Marx et F. Engels, Adresse de l’autorité centrale à la Ligue des Communistes », mars 1850, cité dans SRF, p. 137 et 138. [18] Daniel Guérin, La lutte de classes sous la Première République », Gallimard, 1946, p. 12. [19] Cf. SRF p. 103, 115, 118 ; – NRF, p. 238, 247. [20] Cité dans SRF p. 62. [21] Lettre d’Engels à Karl Kautsky, 20 février 1889, cité dans SRF p. 245-246. [22] K. Marx, La critique moralisante et la morale critique contre Karl Heinzen », est cité dans SRF p. 91 et le passage du Manifeste » se trouve dans NRF p. 215. [23] Daniel Guérin, La lutte de classes sous la Première République », Gallimard, 1946, p. 7. [24] Ibid. Cf. Engels Der Magyarische Kampf », Marx-Engels Werke, Dietz Verlag, Berlin 1961, Tome 6, p. 166. [25] Cf. W. Wachsmuth, Geschichte Frankreichs im Revolutionalter », Hambourg, 1842, Vol. 2, p. 341 Von den Jakobineren ging die nachricht ein, dass sie in Permanenz erklärt hatten. ». [26] K. Marx, Contribution à la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel », 1944, cité dans NRF, p. 151-153. [27] K. Marx et F. Engels, Adresse de l’autorité centrale à la Ligue des Communistes », mars 1850, Karl Marx devant les jurés de Cologne », Costes 1939, p. 238. [28] K. Marx, Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte », 1852, cité dans SRF p. 245-247. [29] A. Gramsci, Ordine Nuovo », Einaudi, Turin, 1954, p. 139-140 ; – Note sul Machiaveli, sul la politica e sul lo stato moderno », Einaudi, Turin, 1955, p. 6 à 8, 18, 26. [30] Ernst Bloch, Droit naturel et dignité humaine », Payot, 1976, p. 178-179.
Nousdevons à une femme, spectatrice, elle aussi, de cette Révolution dont son père avait été l’un des premiers acteurs, à Mme de Staël, un ouvrage d’un caractère philosophique bien supérieur à celui de Rabaut : les Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, achevées en 4816, et qui ne parurent
Considérations sur les principaux événemen ... Madame de Staël Considérations sur les principaux événemens de la révolution françoise ouvrage posthume de Mad. la baronne de Staël by Madame de Staël 0 Ratings 0 Want to read 0 Currently reading 0 Have read Loading... Facebook Twitter Pinterest Embed Considérations sur les principaux événemens de la révolution françoise ouvrage posthume de Mad. la baronne de Staël by Madame de Staël 0 Ratings 0 Want to read 0 Currently reading 0 Have read Considérations sur les principaux événemens de la révolution françoise Overview View 6 Editions Details Reviews Lists Related Books This edition doesn't have a description yet. Can you add one? Showing 6 featured editions. View all 6 editions? Edition Availability 1 Considérations sur la Révolution française 1983, Tallandier in French - 1ère réédition depuis 1881. 2235014828 9782235014823 zzzz Not in Library Libraries near you WorldCat 2 Considérations sur les principaux événemens de la Révolution françoise 1979, Arno Press in French 0405117426 9780405117428 zzzz Not in Library Libraries near you WorldCat 3 Considérations sur les principaux événemens de la révolution françoise ouvrage posthume de Mad. la baronne de Staël 1818, Chez Baldwin, Cradock, et Joy in French aaaa Not in Library 4 Considérations sur les principaux événemens de la Révolution françoise 1818, Baldwin, Cradock et Joy in French zzzz Not in Library 5 Considérations sur les principaux événemens de la Révolution françoise 1818, Baldwin, Cradock et Joy in French zzzz Not in Library 6 Considérations sur les principaux événemens de la Révolution françoise 1818, Baldwin, Cradock et Joy in French zzzz Not in Library Add another edition? Book Details Edition Notes Thacher, II, p. 88 French Revolution Publisher's advertisements v. 3, [2] p. at end. Classifications Library of Congress DC138 .S7 1818, Thacher FR574 The Physical Object Pagination 3 v. ; ID Numbers Open Library OL3386860M LCCN 2004573865 No community reviews have been submitted for this work.
Considérationssur les principaux événements de la Révolution française Lise Sabourin RÉFÉRENCE MADAME DE STAËL , Œuvres complètes, série III, Œuvres historiques t. II, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, sous la direction de Lucia Omacini, volumes 1 et 2, Paris, Honoré Champion, pp. Gérard Wormser Sens Public – Ce débat centré sur le rapport entre violence et politique portera sur Victor Hugo, la Révolution française et des traditions d’interprétation qui se déploient à partir de cet événement, fondateur, pour une grande part, de nos institutions. Bien sûr, la Révolution française a eu tellement d’échos à l’étranger qu’il est difficile de ne pas réinterpréter les événements récents au Maghreb et en Égypte à la lumière d’une interrogation sur les institutions légitimes et la manière dont les populations, soumises à des institutions corrompues, s’efforcent de dire la vérité de ces institutions, et de transformer les conditions de l’exercice du pouvoir au sein de leur société. Je donne tout de suite la parole à l’auteur de ce spectacle. Dans le théâtre, révolution, dramaturgie et littérature, ne sont peut-être pas des synonymes. Cependant, leur proximité interroge. Godefroy Ségal – Je suis le metteur en scène de la compagnie In Cauda, qui va bientôt présenter le Quatrevingt-treize de Victor Hugo. La compagnie n’est pas spécialisée dans ce genre. Nous avons certes la réputation de faire du théâtre plutôt que de l’historique. Mais cela n’est pas un parti-pris délibéré. Je suis plus intéressé par les affects, ce qui pourra peut-être lancer quelques beaux débats ultérieurement, sur la matière artistique plutôt qu’historique. Et en même temps, je ne peux pas dissocier le théâtre dans ce qu’il comporte de collectif, le travail avec les comédiens ou les techniciens, de ces rencontres avec le public, avec ce collectif, aussi vivant que nous. Cela a un rapport avec l’histoire. La compagnie aurait du mal à présenter des spectacles qui n’interrogent peut-être plus que l’individu, sur des formes plus sociales, ce que le théâtre du 20e siècle a beaucoup pratiqué. Je préfère la fibre épique. Depuis une dizaine d’années, la compagnie réfléchissait à ce Quatrevingt-Treize. Adolescent, j’ai lu ce texte. Cela m’avait tellement marqué que je voulais le présenter. À cette époque, je voulais déjà faire du théâtre. Finalement, ce Quatrevingt-Treize est devenu théâtralement une évidence je n’avais pas envie de prendre une autre pièce de Victor Hugo, il fallait qu’on théâtralise ce roman. C’était d’autant plus facile qu’en travaillant sur la période dont il traite, on s’est rendu compte qu’en général, l’Histoire retenait beaucoup la guillotine, les morts de ces années-là. Pour nous, ces évocations de 1789, ou de 1793 plus précisément, oubliaient le Verbe, ce Verbe dont Hugo tient compte, ce Verbe tant théâtral. Si on peut résumer ces années, ce sont finalement des milliers de pages dites avant d’être écrites, ou écrites pour être dites. On le voit sur tous les tableaux faits à partir du Serment du jeu de Paume, jusqu’aux Premières Conventions, et ensuite par les innombrables débats. Pour nous, cette parole quasi interdite, emmurée depuis des siècles, sortait, ce qui pour moi était hautement théâtral. Je n’avais pas envie d’adapter Quatrevingt-Treize, mais de le jouer sur plusieurs jours. Adapter cette œuvre était donc plus pratique. Cela a demandé beaucoup de travail. Victor Hugo a commencé ses premières notes sur la Révolution française, et particulièrement sur 1793 vers l’âge de 18 ans. Souvent dans sa vie, dans sa correspondance avec Paul Meurice, il disait ça y est, je vais le faire. » Il hésitait entre pièce et roman. Mais, il trouvait cela trop énorme. Finalement, Quatrevingt-Treize est son dernier roman. Il était bien décidé à ne plus jamais en écrire un seul. Certes, il a continué à écrire des articles, quelques textes. Il disait que si une chose devait rester de lui, c’était cette œuvre-là. Il l’avait faite pour cette transmission. Il l’a écrit juste après la Commune de Paris. Il lui semblait que beaucoup de choses sorties de cette année 1793 avaient totalement disparu des mémoires. C’est d’autant plus troublant que s’il avait écrit Quatrevingt-Treize à l’âge de vingt ans, le livre aurait été différent. Sa mère, Vendéenne particulière, puisqu’elle sauvait des républicains, avait épousé un soldat républicain qui était en Vendée quand elle l’a rencontré. Victor Hugo, jeune, tenait énormément à cette Vendée. Il a à la fois un parcours d’écrivain et de politique il était député. Osons une question troublante s’il n’avait été qu’un homme politique, n’aurait-il ainsi jamais changé ? Je suis fier de faire du théâtre et de transmettre de tels textes. Victor Hugo racontait toujours que pour ses romans, il partait de l’intérieur. C’est très probant pour Quatrevingt-Treize, L’Homme qui rit, Les Misérables. C’était quelque chose qu’il sentait au fond du cœur. L’action et les personnages se dessinaient au fur et à mesure en partant de son propre intérieur, contrairement à d’autres écrivains qui s’inspiraient de l’extérieur, comme Balzac. On pourrait croire que Quatrevingt-Treize a été écrit à partir de l’histoire. Le point de départ est finalement une idée, une sensation, une envie de crier, de dire le monde comme il le voulait. Au fur et à mesure de sa vie, son écriture a changé sa vision politique et sociale du monde. C’est en écrivant qu’il a commencé à rencontrer l’altérité, l’autre. C’est en se penchant sur ces personnages qu’il a commencé à les décrire, à décrire la misère. Jeune, Hugo en était loin. C’était un peu le Stephen King du 19e siècle il est le premier millionnaire de l’histoire de la littérature et des arts, sacré par le public. En même temps, en décrivant la misère, au fur et à mesure de son parcours littéraire, il a été de plus en plus sensible. Il a commencé quasi monarchiste. Cependant, il a été un des rares hommes de lettres à s’offusquer, à souffrir des massacres de la Commune. Il avait proposé à tous les communards de venir s’installer en Belgique, lui étant là-bas, parce qu’il n’avait pas le droit de revenir en France, où plutôt il se l’interdisait. La Belgique n’a pas été d’accord. Mais en tous les cas, il a dit que ce qui s’était passé n’était pas normal. Quatrevingt-Treize parle de la Commune. Certaines choses énormes surgissent. Dans tout le verbe hugolien, même sous les lettres et sous les mots, il y a des silences pour lui très durs, cruels. Je vais vous lire Nox, un des premiers poèmes des Châtiments, qui bien des années avant Quatrevingt-Treize, le résumait déjà. Il commençait à avoir cette pensée-là, mais pour lui, c’était difficile. À 20 ans, il était capable d’écrire dans certains de ses textes et dans les Méditations, qu’entre Mirabeau et Napoléon, ces deux géants, il n’y avait que le néant. On retrouve ces termes énormément chez les historiens du 19e siècle la bassesse, le monde des petits, des nuls, des moins que rien, la guillotine, la mort, 1793. De cette année, Hugo écrit d’ailleurs laissons-la à Robespierre, il est bon à cela. » Et c’est très dur. Puis on en arrive, vingt ans après, à Nox Ô travailleur robuste, ouvrier demi-nu, Moissonneur envoyé par Dieu même, et venu Pour faucher en un jour dix siècles de misère, Sans peur, sans pitié, vrai, formidable et sincère, Egal par la stature au colosse romain, Toi qui vainquis l’Europe et qui pris dans ta main Les rois, et les brisas les uns contre les autres, Né pour clore les temps d’où sortirent les nôtres, Toi qui par la terreur sauvas la liberté, Toi qui portes ce nom sombre Nécessité ! Dans l’Histoire où tu luis comme en une fournaise, Reste seul à jamais, Titan quatrevingt-treize ! Rien d’aussi grand que toi ne viendrait après toi. » Derrière, il y a encore des silences sur cette terreur, pas des silences de honte, mais de reconnaissance. En tant que metteur en scène, je suis heureux de ce débat autour de la Terreur. Souvent, on me fait intervenir plus largement sur la Révolution française. Quatrevingt-Treize parle de cela chez Victor Hugo, on le sait. On peut se demander si Hugo admirait plus Danton que Robespierre ou Marat. Plus on lit ce texte, plus on se dit, que finalement, ceux qui disent l’histoire, les historiens, les politiques, ont inventé cette période de la Terreur ils ont voulu désigner Robespierre comme quelqu’un de sombre, le bouc émissaire noir de l’histoire, la terreur… Sous la Terreur, beaucoup de comédiens sont devenus révolutionnaires. Je pense que dans Quatrevingt-Treize, il y a un hommage à Robespierre, et à cette façon de voir l’histoire en disant heureusement qu’il y en a qui ont su trancher » parfois jusqu’au sacrifice. Hugo a vécu un parcours politique tel qu’il a compris que des hommes comme Lebas, Couthon, Robespierre, et d’autres savaient qu’ils allaient jusqu’au sacrifice. Danton le savait aussi, il savait ce qu’il faisait. Cela me rappelle Le Sacrifice de Tarkovski film russe de 1986. Il y a cette façon violente de voir le monde. Nous avions envie de transmettre cela simplement par le verbe dans la pièce, cinq comédiens racontent cette histoire avec leur voix, et peu d’effets scéniques. Ils créent eux-mêmes tout l’environnement sonore vent, batailles sans bande-son. C’est mon hommage à la Bretagne des fest-noz et des légendes, des danses et des histoires racontées. Nous essayons de transmettre cela, parce que Victor Hugo le voulait. Nous pensons que cela valait vraiment le coup de le faire. Yannick Bosc – Il est important que l’histoire soit vivante. À cet égard, la Révolution française possède une épaisseur d’interprétations historiques, politiques, artistiques qui est considérable, et en fait la complexité. Je me suis plus particulièrement penché sur le discours des ennemis de la Terreur au lendemain de l’élimination des Robespierristes, donc après le 9 thermidor an II 27 juillet 1794 qui inaugure la Convention dite thermidorienne, et qui débouche sur le Directoire. Cette période constitue un moment matriciel au cours duquel s’élabore un des récits de la Terreur, qui a pour principale caractéristique d’être celui des vainqueurs c’est lui qui est resté, qui a perfusé et traversé cette épaisseur de deux siècles. Je m’intéresserai donc ici à ce discours qui construit les figures de l’historiographie dominante comme celle d’un Robespierre tyran et monstre sanguinaire. Ce discours volontiers emphatique permet aux Thermidoriens de justifier l’élimination massive des Robespierristes ils sont 105 à être guillotinés en trois jours, sans procès. Cela leur permet également de se dédouaner d’un certain nombre d’exactions de la Terreur, dont ils furent bien souvent des acteurs Collot d’Herbois ou Fouché à Lyon, Tallien à Bordeaux, sont des hommes de la Convention qui commettent des crimes de guerre. Rappelés par Robespierre à Paris pour justifier de leurs actes, ils craignent pour leur avenir. C’est le paradoxe de Robespierre il dénonce les excès de ces hommes qui, en retour, fabriqueront l’image du Robespierre sanguinaire. Les procès-verbaux de la séance du 9 Thermidor n’ont pas été rédigés immédiatement. Les traces que l’on possède ont été reconstruites dans les semaines et les mois suivant la séance, et beaucoup de documents ont disparu. En termes de sources, retravailler sur le 9 Thermidor n’est pas facile. En revanche, travailler sur ce qui suit permet de voir s’organiser la narration de l’événement élaborée dans l’action elle-même. Entre l’automne 1794 et l’été 1795 l’an III, on voit petit à petit une cohérence se constituer un discours se fabrique, dans lequel il est important que Robespierre soit la figure sur laquelle tout le monde pourra fixer la monstruosité, puisque le 9 Thermidor a été dirigé contre lui. À cette époque, on décrit systématiquement l’an II comme des temps horribles où la France était hérissée de bastilles, couverte d’échafauds, inondée de sang » selon les termes de Boissy d’Anglas et Robespierre, comme un tyran, qui voulait devenir roi il fallait aller jusqu’à en faire quelqu’un qui briguait la monarchie et régnait sur de sombres cachots », des comités farouches de jacobins sanguinaires ». Tout au long du 19e siècle, ce discours du sang de la Terreur va être porté par l’historiographie conservatrice, et sur le plan politique, par les monarchistes. On le retrouve régulièrement dans les périodes de révolutions, en 1848 ou en 1871, dans des moments où les acteurs révolutionnaires rejouent eux-mêmes la Révolution française. En 1848 ou en 1871, on s’appelle Montagnards ». La presse révolutionnaire de ces époques reprend des titres de la Révolution française on retrouve le Père Duchesne, le Vieux Cordelier de Desmoulins… Les derniers Communards, ceux qui n’ont pas été fusillés, mais déportés vers le camp de Satory le premier camp de prisonniers politiques choisissent la Déclaration des Droits de Robespierre comme texte emblématique. La Révolution française est donc très présente chez ceux qui s’insurgent, mais également du côté de ceux qui s’opposent à ces insurrections. Ces derniers vont systématiquement décrire 1848 ou 1871 comme on a décrit 1793, période marquée par la sauvagerie, la lubricité, un imaginaire morbide, sanguinaire, qui désigne en fait tout mouvement populaire. Ce discours très présent dans la presse et l’historiographie conservatrices vise systématiquement à disqualifier le camp républicain en lui rappelant son origine impure. Avec la guerre froide et l’identification du jacobinisme au stalinisme, ce discours va se déplacer pour devenir petit à petit celui des libéraux. Il constitue actuellement le discours dominant qui construit l’interprétation de la Révolution française à partir d’une grille de lecture fondée sur le totalitarisme. On y trouve la dictature d’un parti les jacobins, la dictature d’un homme Robespierre plus ou moins explicitement apparenté à Staline, le culte de la personnalité qui serait le culte de l’Être suprême, la répression qui accompagne la dictature avec un objectif qui serait de juguler toute opposition, la langue de bois qui légitime la répression, etc. C’est un moment où on massacrerait au nom des principes, où on tuerait l’homme au nom de l’humanité, comme le dit Arthur Koestler dans Le Zéro et l’Infini, parlant de Staline, une période paranoïaque dont Robespierre et Marat sont censés être l’expression. On retrouve aussi les logiques génocidaires, avec la Vendée, ou encore l’obsession de la pureté, la création d’un homme nouveau. Ce discours va être porté par François Furet dans Penser la Révolution française 1 , livre dans lequel il décrit cette période comme la matrice des totalitarismes un moment qui inaugure un cycle qui mènera aux grands drames du 20e siècle. On aboutit ainsi à l’équation suivante Robespierre = Staline = Hitler. Cela conduit bien évidemment à ranger 1793 et la Ière République dans le placard aux monstres. La conséquence pratique immédiate est que si la Ière République est qualifiée pour incarner la monstruosité politique, elle est en revanche totalement disqualifiée pour nous aider à penser notre monde, la modernité et notre avenir comment vouloir que l’avenir ressemble à cette horreur totalitaire ? De nos jours, donc, d’après ce discours dominant, on ne tentera pas de penser notre époque avec les Montagnards, certainement pas avec Robespierre ni avec cette Révolution française-là. On aura recours à des personnages plus modérés, plus présentables peut-être, par exemple Condorcet, ou à d’autres périodes comme le Directoire, voire la Convention thermidorienne. Quand on travaille sur les archives, quand on reprend le discours des Thermidoriens, on s’aperçoit qu’il utilise abondamment l’épouvantail du tyran sanguinaire, mais qu’il désigne également la Terreur en des termes qui résonnent étrangement tant nous sommes habitués à la lecture fondée sur la matrice totalitaire. Ainsi en juin 1795, Boissy d’Anglas dépeint une France de l’an II inondée de sang » et estime que la Constitution faite pendant la Terreur, la Constitution montagnarde de 1793, est la Terreur instituée. Il dit cela non pas parce ce que ce texte serait répressif, ou qu’il organiserait un parti unique, ou un pouvoir fort, mais tout au contraire parce qu’il est l’organisation de l’anarchie. » Il estime que cette Constitution a été conçue pour que la loi ne fût jamais puissante », pour que la licence régnât toujours, et pour consolider l’empire des séditieux et des conspirateurs » ; cette Constitution, précise-t-il, autorise les insurrections partielles », le pouvoir exécutif y est faible », l’autorité transférée aux hommes oisifs et turbulents », le peuple y est constamment délibérant », et l’opposition organisée ». La Constitution de 1793, qui est la Terreur instituée par le tyran sanguinaire », est ainsi désignée par les termes de désordre », de faiblesse », d’ anarchie » et d’ impuissance ». Elle favorise la délibération », l’ opposition », l’ insurrection ». Elle doit donc être, conclut Boissy d’Anglas, éliminée et remplacée par une Constitution qui va renforcer le pouvoir exécutif et substituer le suffrage censitaire, réservé à ceux qui paient une certaine quantité d’impôts, au suffrage universel, jugé anarchiste. On pourrait également supposer qu’à cette époque, lorsqu’on sort de la Terreur, on soit face à des députés thermidoriens qui valorisent la Déclaration des Droits et la mettent en avant. Or, il n’en est rien. Mailhe, conventionnel girondin du sud-ouest, souligne la dimension subversive d’un texte dont il dit qu’il serait préférable de le laisser dans les livres … il est inutile d’en faire une, car nous trouverons toujours les principes qu’elle renferme dans les ouvrages de nos philosophes ; ils seront beaucoup moins dangereux là qu’en tête de la Constitution, dont ils pourraient amener la chute, car les écrits de nos sages n’exciteront jamais de guerres civiles. » 2 Au même moment, en 1795, Jean-Baptiste Say, un des pères du libéralisme économique, assiste aux débats, rédige des comptes-rendus dans la presse et considère également que la Déclaration des Droits de l’Homme est un texte dangereux, subversif On dira peut-être qu’un usurpateur y trouverait un frein ; mais l’expérience nous a appris qu’il pourrait aussi bien s’en faire un instrument. Robespierre ne disait-il pas, en s’adressant aux tribunes des jacobins Peuple, on te trahit, reprends l’exercice de ta souveraineté ? » 3 Robespierre est ainsi un tyran sanguinaire et simultanément celui qui défend la souveraineté populaire, au nom des Droits de l’Homme, c’est-à-dire a priori, la négation de la tyrannie. Toujours en 1795, Jeremy Bentham, autre père fondateur du libéralisme économique et inventeur de l’utilitarisme, estime lui aussi qu’il faut en finir avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. On voit ainsi des libéraux économiques tenus par le discours dominant pour des thuriféraires des Droits de l’Homme leur être au contraire hostiles à cette époque. Pour Bentham, la Déclaration de 1789 est un recueil de préceptes anarchistes et l’article 2 de la Déclaration de 1789 est le langage de la Terreur notons que c’est toujours ce texte qui organise notre Constitution vivrions-nous sous le régime de la Terreur ?. L’article 2 indique Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. » Voilà ce qu’est pour Bentham le langage de la Terreur, l’anarchie qu’il faut éliminer à travers la figure de Robespierre. Cette association de l’anarchie, de la Terreur et de la Déclaration des Droits se retrouve dans l’historiographie conservatrice, en particulier chez Hippolyte Taine, un de ses représentants emblématiques. Le premier volume de son histoire de la Révolution française dans Les Origines de la France contemporaine, est intitulé L’Anarchie. Il paraît en 1878 et est donc contemporain de Quatrevingt-Treize, publié quatre ans plus tôt. Hippolyte Taine a été terrorisé par la Commune qui vient de secouer la France en 1871. C’est à travers elle qu’il lit la Révolution française, un processus qui bestialise le peuple du paysan, de l’ouvrier, du bourgeois, pacifié et apprivoisé par une civilisation ancienne [il s’agit de l’Ancien Régime, nous sommes au mois de juillet 1789], on voit tout d’un coup sortir le barbare, bien pis, l’animal primitif, le singe grimaçant, sanguinaire et lubrique qui tue en ricanant et gambade sur les dégâts qu’il fait. » Pour Taine, la Terreur ne commence pas en 1793, mais en 1789, précisément avec les journées du 5-6 octobre 1789, au cours desquelles six mille femmes de Paris vont marcher sur Versailles pour demander un meilleur approvisionnement de la capitale et contraindre Louis XVI à accepter la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il refusait de signer depuis un mois. C’est à la suite de cet épisode que la famille royale le boulanger, la boulangère et le petit mitron » revient à Paris. C’est donc de ce premier jour de la Terreur, selon Hyppolite Taine, que débute la validité des Droits de l’Homme en France. Un historien important de la Révolution française, un peu oublié, mais à mon avis un des plus grands, Albert Mathiez, écrivait que sous la Révolution française, comme sous toutes les révolutions passées, présentes ou à venir, il a fallu user de la force pour accoucher le droit. La Terreur, période de violence, de guerre civile, de guerre étrangère, est en même temps une période où l’on s’efforce de garantir les droits naturels et imprescriptibles de l’Homme, ce langage de la Terreur dont parle Bentham, où l’on s’efforce de mettre en œuvre la souveraineté populaire, cette anarchie qui terrorise Taine et avant lui les Thermidoriens. La Terreur et au-delà la Révolution française, est constituée par des tensions, une complexité dont notre travail d’historien doit rendre compte. Cet enchevêtrement complexe n’est pas simplement composé de ces textes du 18e siècle, mais également de tous les discours sur la Révolution française, celui d’Hugo et le vôtre, puisque votre mise en scène est également un discours. Je conclurai en citant Jean-Pierre Faye. Dans son Dictionnaire politique portatif en cinq mots 4 , un livre important qui m’a incité à travailler sur la Révolution française, Jean-Pierre Faye écrit En coupant en deux la Révolution française, entre les Droits de l’Homme et la Terreur, le récit standard de l’Histoire a fait à la Révolution russe un cadeau empoisonné. Il lui a laissé la Terreur sans les Droits de l’Homme. » Gérard Wormser – Ce savoir de l’Histoire de la Révolution est aujourd’hui d’une très grande importance. Vous disiez que les minutes des débats sont des pièces historiques fondamentales. La documentation historique sur la Révolution française reste encore aujourd’hui l’une des sources les plus fécondes pour réfléchir aux conditions mêmes dans lesquelles se produit l’Histoire. Il y peu d’épisodes de l’Histoire du monde qui nous offre l’accès aux éléments les plus consistants pour comprendre les événements, rédigés sur le fait, en phase avec les événements, et dans la perspective où l’Histoire s’écrit par ceux-là mêmes qui la font. Ce caractère tient en partie à la vision des Encyclopédistes du 18e siècle, cette idée que l’écriture est l’une des grandes conquêtes de la liberté et qu’accompagner la geste de ceux qui marchent à Versailles, de ceux qui font les barricades, ou de ceux qui rédigent les lois, c’est accompagner ces journées révolutionnaires par l’écriture de la Révolution. Cela a commencé par les Cahiers de doléances, puis les gazettes et les journaux qui fleurissent dans le Paris de 1789, cela continue par les écrits des historiens qui rédigent dans un après-coup immédiat ce qui servira jusqu’aujourd’hui à établir les conditions de possibilités terme aujourd’hui associé à la philosophie de Kant, contemporain de la Révolution d’un événement politique d’envergure, rédigées, consignées par les Révolutionnaires eux-mêmes. Yannick Bosc – Je souhaite revenir sur cette question des archives. Pour la Révolution française, on dispose d’une masse considérable d’archives. Elles traduisent la volonté de mettre sur la place publique tous les débats de l’époque, tout ce qui est en discussion, pour que chacun puisse juger sur pièce. C’est une distinction fondamentale quand on raisonne en termes de régime totalitaire. Un régime totalitaire est caractérisé par l’opacité et non la visibilité. On découvre les archives du KGB une fois que le régime est tombé. Pour la Révolution française, on est dans l’exact inverse la mise en visibilité de tout ce qui constitue la loi. Gérard Wormser – C’est le premier élément que je voulais établir pour développer quelques réflexions, donc d’orientations un peu plus philosophiques sur Quatrevingt-Treize de Victor Hugo et ce qu’on peut en dire d’un point de vue historique. D’abord, cette dimension de mise en scène se fait à travers l’écriture d’une sorte de script. Les premiers leaders de la Révolution, les premiers chefs révolutionnaires, organisent des clubs, notamment à Paris, le Club des Bretons. La Bretagne a pu être contre-révolutionnaire à certains moments, mais le Club des Bretons – constitué par des nobles de peu de puissance – est parmi les premiers à avoir incité les États-Généraux à se muer en Assemblée nationale. Donc, toutes ces composantes provinciales de la France d’Ancien régime ont progressivement pris conscience du fait que leur rassemblement aux États-Généraux à Paris, donnait pour la première fois une visibilité à l’idée de nation. Le simple fait d’être assemblé et de discourir, de devoir statuer et prendre position sur les événements crée un irréversible par des faits de langage. Cette dimension performative devient manifeste avec l’importance prise par la question des modalités du vote – par tête ou par ordre, sur les modalités de la réunion du Tiers-État avec les autres ordres selon que tous les députés siègent ensemble ou bien que ceux du Tiers sont maintenus à part, avant même l’abolition des privilèges… C’est un apprentissage sans précédent des conditions d’une politique nationale. Il est essentiel de comprendre que la critique de la Révolution française telle qu’elle a pu se développer depuis 1789, voire les efforts pour lui substituer d’autres considérations afin de penser la politique, sont en permanence centrés sur le rapport à cette Révolution – elle est véritablement sans précédent à ce titre. Référons-nous ici au grand historien de la culture qu’est Jean Starobinski, auteur de superbes ouvrages sur le 18e siècle et la progressive montée d’une conscience révolutionnaire. Il montre très bien qu’à la fin du 18e siècle, l’imaginaire politique d’une transformation de la société ne trouve pas mieux pour s’alimenter que de réfléchir à la République romaine et à sa transformation impériale. La République devient en effet l’Empire après César, Auguste et la transformation des institutions 5 . Les théoriciens du 18e siècle n’ont guère d’exemples à faire valoir pour penser l’avenir. Soucieux du présent, ils peuvent déployer une réflexion sur les institutions anglaises – comme Voltaire et Montesquieu. Élargissant leurs vues, ils peuvent mentionner Machiavel et d’autres penseurs de la modernité européenne, mais le cas florentin est controversé, tout comme l’est la révolution anglaise. Il reste alors la possibilité de reprendre Tite-Live, Salluste, Tacite, les historiens de la Rome Antique bien connus de la jeunesse cultivée d’Europe occidentale plus d’ailleurs que ceux de la Grèce tenter de comprendre l’existence de mouvements populaires et d’une politique républicaine dans la Rome Antique invite à réfléchir sur le présent et à dénoncer la Cour dans des termes évoquant la corruption politique sous les Césars. Compte tenu de la relative faiblesse de l’historiographie du temps, les exemples dont pouvaient profiter les premiers responsables politiques de la France révolutionnaire étaient donc assez limités, en sorte que l’historiographie de leurs propres actions devenait en même temps la matrice de réflexion destinée à interpréter le présent et à concevoir ses suites. La réflexion instantanée sur les actes les plus contemporains leur confère une résonance transhistorique. Nous avons un peu perdu de vue cette dimension et plus de deux cents ans nous séparent de cette vision d’une réflexivité des actions politiques comme dimension centrale de leur condition de possibilité 6 . C’est ce qui rend particulièrement intéressante la réédition du livre d’Albert Mathiez La Réaction thermidorienne 7 . En effet, la réflexivité de la Révolution française s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, entre les différents historiens, qui de Michelet à Furet et à vous-même ont repris à nouveaux frais la documentation, revenant aux sources et traversant les différentes histoires. Chaque moment révolutionnaire ou de transformation politique en France a eu sa propre réflexion sur la Révolution française. Il ne serait que de citer Edgar Quinet, Marc Bloch, ces historiens qui n’ont pas dissocié leur action politique de leur propre réflexion sur les institutions révolutionnaires. Ces événements peuvent apparaître micrologiques deux cents ans après. On connaît le titre du roman de Zola, Germinal, mais qui se souvient de Prairial ? Qu’est-ce que Prairial dans les décrets de la Convention, et Prairial dans une possibilité qu’il y aurait eu de voir la Convention thermidorienne renversée à son tour par le retour des robespierristes ? Il s’en est fallu de peu pour que ceux des Conventionnels qui avaient échappé à la guillotine et leurs soutiens populaires ne revinssent au pouvoir, avant que leurs adversaires ne prissent définitivement le dessus, quitte à se priver réellement du soutien des sections et à risquer de faiblir devant les adversaires de la révolution. Albert Mathiez restitue la complexité de l’événement révolutionnaire. Au sein de la Révolution, des microévénements vus d’aujourd’hui sont déterminants pour percevoir les capacités d’une société à penser de façon immédiate son propre parcours politique. C’est une dimension centrale d’autoréflexion. Parmi les penseurs de la politique, je m’inspire notamment de Jean-Paul Sartre. Il a travaillé des années sur la question de l’émancipation politique, en mettant en réflexion, à distance, ses propres tentations – par exemple celle de croire que le Parti communiste pourrait opposer une alternative à l’hégémonie américaine durant la Guerre froide. Au nom de l’anticolonialisme et d’un idéal de fraternité, Jean-Paul Sartre a considéré que la guerre de Corée et celle d’Indochine, avant même la guerre d’Algérie, obligeait à se ranger du côté de ce qui incarnait la lutte des peuples. Il n’ignorait pas l’absence de liberté de la presse ou l’enfermement au goulag d’une partie des intellectuels et de nombreux opposants en URSS mais pouvait-on simplement rallier le camp américain sans trahir les idéaux de la Résistance ou de la Libération ? Si la mort de Staline laissait une chance au communisme, les événements de Budapest en 1956 lui firent exprimer publiquement sa rupture avec le parti communiste soviétique. Il remet alors en chantier ses idées sur la politique et l’organisation du peuple, dans Questions de méthode, grand article demandé par une revue polonaise. Comme il le fait souvent, il commence par écrire un article et puis il réfléchit à son article et il écrit un livre. C’est ce qu’il fit à plusieurs reprises au cours de sa carrière. D’ailleurs, ce livre est rarement achevé, des suites se projettent, se programment, il n’en donne pas de conclusion définitive. En l’occurrence, Sartre tente de comprendre le cycle interne d’un mouvement révolutionnaire – comment il peut naître et comment il se fige, se retourne sur lui-même et vient dévorer ses enfants. Cet ouvrage est la Critique de la raison dialectique. Paru en pleine guerre d’Algérie, juste après le changement de Constitution en France, il est particulièrement éclairant. De la même façon que Quatrevingt-Treize est un ouvrage de Victor Hugo paru après la Commune, la Critique de la raison dialectique paraît en 1960, deux ans après le retour au pouvoir du Général de Gaulle qui devait faire face à une situation de quasi-insurrection militaire en Algérie. Que Jean-Paul Sartre ait alors théorisé les conditions d’une réflexivité sociale et politique dans le cadre d’une instabilité foncière des institutions, c’est tout à fait essentiel. Il rompt avec tout formalisme des institutions pour montrer la dimension organique » de l’histoire celle-ci est menée par des hommes le plus souvent pris dans des conflits qui leur interdisent de stabiliser une situation dans les termes souhaitables. Leur volonté est emportée par des peurs et des violences qui renvoient à une dialectique de l’excès de pouvoir et des injustices, et non pas aux modalités pacifiques que les penseurs libéraux » tentent de modéliser au même moment à partir de modèles de dissuasion » et de jeux de stratégie. Que trouve-t-on dans la Critique de la raison dialectique ? On y trouve une très profonde réflexion sur l’organisation de la révolution. Il cite des historiens comme Mathiez, Soboul, Lefèvre. Sa réflexion et sa description philosophique très stimulante du 14-Juillet, de la prise de la Bastille. Paris a proclamé sa solidarité avec les députés du Tiers-État après le Serment du Jeu de Paume. Sartre montre que la menace pesant sur Paris joue comme un accélérateur des événements. Cette menace est accréditée par les rumeurs évoquant des bataillons rappelés par le roi pour assiéger la ville qu’ils sont susceptibles d’investir il faut s’armer. Ces menaces pesant sur elle font que la ville vient en ébullition il n’est plus question que d’elles, l’horizon est comme suspendu à une temporalité raccourcie, apocalyptique. La conscience de partager un événement, une tension, une possibilité, s’étend dans plusieurs quartiers qui vivent sous l’ombre des tours de la Bastille, notamment le Faubourg Saint-Antoine. La description de Jean-Paul Sartre établit que le premier mouvement révolutionnaire, ce 14 juillet 1789, n’est pas une prise de pouvoir, mais d’abord un réflexe de défense. C’est fondamental. La création de l’événement révolution » est vécue par ceux qui l’accomplissent, non pas comme l’acte positif qui créera les conditions d’une nouvelle Constitution, le souhait d’un nouvel ordre politique, mais d’abord comme une réaction de défense face à une menace. La menace est immédiate. Les militaires pourraient investir la ville à tout moment. Le Tiers-État pourrait être empêché de se présenter aux États généraux à Versailles. Il faut défendre la représentation politique à peine esquissée par le Serment du Jeu de Paume et la proclamation de l’Assemblée nationale. C’est une constante de toutes les révolutions, d’après Sartre, que de transformer une menace en action. Nous accédons ainsi à ce que Sartre nomme Critique de la raison dialectique. C’est dans une dimension dialectique que les événements se précipitent. Les éléments de la réponse intègrent à leur façon certaines des conditions de la menace qui s’imposait à eux, ils conditionnent leur réponse c’est parce que la menace était d’ordre militaire que la prise d’armes de la Bastille devient une réponse adéquate. Il n’y a pas à imaginer un dessein, pour les artisans du faubourg Saint-Antoine, de s’armer et de s’en prendre aux soldats qui défendent la Bastille. C’est au contraire déjà une réponse dont les conditions initiales sont liées à la menace qui pèse sur eux. Les événements révolutionnaires sont intrinsèquement liés aux menaces d’échec de l’instauration d’une continuité nouvelle, d’une pacification possible, de l’organisation des pouvoirs publics selon un ordre par la liberté. C’est là donner un sens à la succession temporelle des événements, y compris dans ce qu’elle a d’expérimental Robespierre pressent le drame qu’une guerre peut créer, tentera d’en contrôler le cours, mais les limites qu’il tente d’imposer aux représailles seront à l’origine de sa chute, précipitée par ceux qui craignent de voir leurs excès sanctionnés. Robespierre a refusé la guerre quand les Girondins y étaient plutôt favorables, ou moins défavorables. Il s’opposait à la peine de mort. Il nous faut cependant comprendre que les conditions de la Révolution étaient telles que la guerre a dû être enclenchée, et la peine de mort appliquée, sans pourtant endosser le moindre déterminisme Sartre s’efforce de saisir l’événement à partir de ses possibles en vue de parvenir au sens de ce qui a eu lieu. Les événements produisent des effets qui sont sans lien avec les motifs qui les ont engendrés. Et c’est à ces effets que les acteurs sont confrontés – ce qui fait tomber dans l’oubli les motivations premières. Cette dynamique fonde la démarche progressive-régressive » de Sartre, qui consiste à établir la série des intentions et celle des actes pour comprendre comment l’événement échappe à ceux qui le produisent et revient sur eux en les contraignant à adopter des conduites contraires à leurs intentions initiales dans l’idée même de reformuler leur projet. Ainsi, la réponse des révolutionnaires finit par permettre aux adversaires de la Révolution de tenir ces réponses pour autant d’actes positifs assumant pleinement la guerre, la guillotine, et la Terreur. Il y a cette dialectique à l’intérieur de l’histoire de la Révolution. Sartre le montre très bien à propos des premières journées révolutionnaires. Plus profondément, Jean-Paul Sartre essaie d’élaborer une matrice de compréhension pour ce type d’événement. Il emploie deux termes l’expression de groupe en fusion » et le concept de fraternité-terreur ». De quoi s’agit-il ? Comment Sartre en fait non pas des invariants, mais des positions sans lesquelles on ne peut pas comprendre le processus d’un événement de nature révolutionnaire ? Le groupe en fusion » permet à Sartre de thématiser les événements du 14 Juillet. Il écrit, dans sa description de la ville de Paris à la veille ou au matin du 14 Juillet le groupe en fusion, c’est la ville ». Personne n’est la ville. Chacun d’entre nous arpente une rue de Lyon, de Paris ou d’une autre ville, et l’arpente avec son imaginaire, ses souvenirs, ses rêves, ses solidarités, ses craintes, ses hantises, ses faiblesses, ses lâchetés. Cela nous arrive à tous, à chacun d’entre nous. Il n’empêche que la mise en visibilité d’un rassemblement sur une place, de quelques échauffourées, de fuites plus ou moins organisées un groupe se met à courir sans que l’on comprenne pourquoi, des rumeurs circulent dans la foule... font qu’à un moment donné, on » se prend à croire que le roi va venir à Paris, qu’au contraire il s’en est enfui, ou qu’il va envoyer des gardes, ou encore qu’il a le dessein d’affamer la ville. Tout cela produit un climat insurrectionnel vécu dans toutes les têtes, évoqué dans toutes les bouches, et crée des rumeurs. Tout cela n’est pas forcément vérifiable. Reste que ces rumeurs produisent aussi la Grande Peur » de juillet 1789 qui verra les paysans s’en prendre aux châteaux sans qu’il eût un événement déclencheur localement. Cela produit aussi ce sentiment d’avoir à se solidariser avec quelque chose qui n’a pas de visage, avec une dimension qui n’est qu’emphatique, rêvée, imaginaire. La prise de la Bastille ne serait donc en rien un événement prémédité, personne ne pourrait établir qu’il le fut. Les conséquences de cet événement n’ont été pensées par personne, la formalisation de l’enchaînement qui va jusqu’à la nuit du 4 août d’abord, puis deux ans plus tard, à la proclamation de la République, cet enchaînement n’est véritablement concevable à l’époque que par quelques personnes qui tentent de se hausser au niveau de l’événement. Quelques députés de la Constituante, de la Législative et à la Convention essayent d’interpréter à même les événements les possibilités qu’il recèle. Mais ces possibilités sont toujours en avant d’elles-mêmes. Il n’y a pas de précédent historique auquel se référer. Toutes les possibilités sont vécues à l’instant. Il faut donc établir quelques règles de compréhension qui puissent être communes à plusieurs. Et c’est ici où le concept de fraternité-terreur » va pouvoir être développé par Sartre dans certains des passages de la Critique de la raison dialectique. Qu’est-ce que cette fraternité-terreur » ? C’est cette idée que le groupe en fusion » n’est pas une possibilité stable. Après le 14 juillet, il y a le 15. Que faire d’une victoire qui a été obtenue sur les gardes royales ? De la possibilité d’organiser la ville en un espace public qui devient acteur de la Révolution par-delà même l’existence des États-Généraux à Versailles ? Il y a donc une nécessité d’organiser les manifestations instantanées de ce groupe en fusion ». À ce moment-là, des chefs, des éditorialistes, des libellistes, des gazetiers, des responsables des clubs esquissent les premières formulations de ces possibilités d’action. Dans sa propre réflexion sur l’histoire, avec son recul de deux cents ans, et des événements de l’Occupation et de la Résistance, Sartre comprend qu’à un moment donné, le serment est un passage obligatoire. Il n’y a pas de groupe qui puisse se constituer à partir de cette idée de groupe en fusion », qui puisse se stabiliser indépendamment de la possibilité de passer un serment. Ce groupe deviendra ce que Sartre nomme un groupe assermenté », cette idée la liberté ou la mort » en procède. Ou cette idée De la résistance à la Révolution », qui était la devise du journal de Camus, Combat, en 1944. Chacun se doit de garantir sa fidélité au moment inaugural. Ce thème du serment préexistait à la Révolution, nous l’avons aperçu dans le travail de Jean Starobinski. Mais le serment recèle en germe la possibilité de la trahison. Qui a juré peut devenir parjure, et qui sait si l’unanimité initiale sera maintenue, si elle n’était pas déjà assortie d’arrière-pensées ? Mirabeau lui-même, l’auteur du Serment du Jeu de Paume ne tentera-t-il pas d’arrêter le cours des choses en s’employant à conseiller le Roi ? Une protoconstitution politique se passe d’abord entre membres d’un même groupe qui a pu se réunir dans un club, en quelque lieu que ce soit et qui jure une fidélité par exemple à la mémoire d’une journée révolutionnaire, à un concept, à une idée, que ce soit celle de la liberté, celle de la Déclaration des Droits, ou que ce soit un idéal de rationalité politique ou d’autres idéaux ‒ qui peuvent être d’ailleurs aussi bien irrationnels. Sartre le dit aussi bien à propos d’autres formes de politique. Il y a donc ce passage du groupe en fusion » au groupe assermenté ». Et ce dernier adopte pour lui-même des formes de régulation. Et c’est là où Sartre va inventer ce concept de fraternité-terreur » dont on voit bien le lien avec la Révolution. Ce concept de fraternité-terreur » est cette idée que le groupe qui se constitue, qui se donne ce qui devient un groupe assermenté », est lié par des postulations imaginaires qui font que chacun des membres du groupe est à la fois le militant d’un idéal et la victime possible des abus qui pourraient être commis à l’intérieur du groupe. On fait confiance à des leaders, mais ces leaders peuvent avoir d’autres fins. Certains responsables politiques ne seront-ils pas tentés d’utiliser le mensonge pour obtenir l’adhésion des militants ? Dans une campagne électorale, ne ment-on pas sciemment aux militants pour que ces derniers ne soient pas assaillis par des doutes ? Dans un texte beaucoup plus ancien et qui n’avait pas été publié de son vivant, Les Cahiers pour une Morale, Sartre avait, à propos du stalinisme, réfléchi au statut du mensonge en politique. Il montre que ce premier mensonge, supposez que ce soit le premier, fera vaciller complètement toute la confiance qu’un groupe peut avoir dans son propre serment. Si les chefs d’un parti peuvent se permettre de mentir aux militants, la confiance de l’ensemble des militants entre eux et vis-à-vis de leurs responsables finit par s’effriter. Un groupe assermenté » lié par cette idée de fraternité-terreur », les règles générales, souvent implicites, doivent devenir explicites à chaque fois qu’un coup de canif atteint cette confiance. On entre dans le cycle des justifications qui brisent l’unanimité et ouvrent aux soupçons. Telle est la fraternité-terreur » chacun peut devenir l’instrument par lequel un d’autre devient victime dans le groupe. Chacun est menacé de devenir victime après avoir fait trop confiance à certains responsables ou à certains militants qui vous auront instrumentalisés sans maintenir de transparence dans l’information ni de dialogue contradictoire. Dans un parti, il faut faire confiance aux chefs... sans angélisme quand on est ministre, on ferme sa gueule ou on démissionne », disait Jean-Pierre Chevènement. Sartre montre qu’à partir du moment où l’événement politique est la plupart du temps une réponse à des menaces, réponse à des agressions, les conditions de la lutte ne sont jamais des conditions d’une transparence qui permettent de jouer cartes sur table. Le passage du groupe en fusion » révolutionnaire au groupe assermenté » et à la fraternité-terreur » crée les conditions pour qu’une révolution finisse par abolir ses propres règles et se bureaucratise. À propos de la Révolution française comme de la Révolution soviétique, Sartre étudie le passage de de la fraternité-terreur » à la bureaucratisation et à la retombée de la Révolution, soit dans l’individualisme antérieur aux événements – les intérêts de chacun priment à nouveau, ou bien dans la remise du pouvoir à un tiers, qu’il s’agisse de Bonaparte ou de Staline, qui se chargera d’instrumentaliser la société en instituant une administration bureaucratique dont la principale fonction sera d’empêcher le retour du soulèvement. C’est le moment originel de la révolution qui est le plus fortement censuré à l’issue des événements. Ainsi le droit de coalition et de manifestation fut-il aboli pour un siècle après la Révolution. À travers ce rappel de quelques idées de Jean-Paul Sartre, il s’agit de penser le caractère finalement matriciel, générique de ce type d’analyse. Je n’en fais pas un modèle unique. C’est une façon de montrer comment on peut essayer de penser philosophiquement la générativité des événements historiques. Si l’on veut comprendre les révolutions associées à la décolonisation, on peut travailler à partir d’événements de ce genre pour comprendre ce qui s’est passé à propos des génocides, qu’il s’agisse des génocides en Europe ou des génocides hors d’Europe. Je pense notamment au texte de Jean Hatzfeld à propos du Rwanda 8 . À propos des génocides en Europe, Victor Klemperer, grand linguiste allemand resté caché en Allemagne pendant toute la période nazie, auteur du livre magnifique LTI, la Langue du Troisième Reich, a montré que l’euphémisation de la langue, la transformation du langage et l’acceptation par le peuple d’une langue de bois officielle qui masquait la réalité de la terreur rendait compte de la profondeur de l’aliénation collective. Des expressions euphémisées dont chacun connaît suffisamment la signification ou les conséquences – une simple latitude donnée pour enfreindre le droit commun suffit –, permettent la suppression de tout sujet polémique entre Allemands soumis à la dictature du Parti national socialiste. Chacun est complice de la langue commune », qui pourrait l’infléchir ou la rectifier sans se dénoncer immédiatement comme oppositionnel ? L’impossibilité pour un peuple de reprendre barre sur son destin passe précisément par la séparation des individus d’avec tous les autres, par opposition à la succession des journées révolutionnaires » qui furent cette expérimentation collective dont les règles se formulaient à même l’événement. Ce type de réflexion a pu amener Victor Hugo, le Hugo d’après 1852, qui a compris le cours de la Seconde République, et comment celle-ci accouche du Second Empire, à penser que le creuset de l’Histoire relève de cette génialité qu’Hugo accorde au poète capable de synthétiser l’événement historique. Cette génialité du poète, Hugo peut en créditer le peuple soulevé. C’est bien là sa fidélité aux récits des bardes gaéliques. Dans Quatrevingt-Treize, certaines phrases, tout comme la structure du roman le montre, indiquent bien comment il faut disperser l’Histoire. Quatrevingt-Treize n’est pas une histoire monolithique faite à un seul point de vue. Il y a en permanence un éclatement de l’histoire entre des acteurs parfaitement inconscients de ce que les uns et les autres peuvent produire. Entre des paysans du bocage normand ou vendéen, les conventionnels à Paris, la conscience des militaires envoyés dans leur régiment à différents endroits, aucune de ces consciences n’est la révolution. Il n’y a pas de privilège non plus pour être au lieu où se passent les événements, et pourtant chacun d’eux incarne ce que Clemenceau dira être le bloc », c’est-à-dire cette Révolution où tous les esprits conspirent, à leur insu, à créer une réalité politique qui échappe à chacun, mais qui devient le destin de tous, et vis-à-vis duquel chacun d’entre nous devra se situer. Ce n’est donc pas par hasard que si Victor Hugo écrit Quatrevingt-Treize sous l’empire de la répression des Communards. À travers Quatrevingt-Treize, il comprend que la IIIe République, pas encore née au moment où il publie le livre, risque fort de poursuivre Thermidor et de décevoir l’espérance. Elle pourrait bien, en ces années, ne pas être la future république radicale qui créera les libertés d’expression, d’association et de réunion. En 1874, ces droits sont encore en attente d’être proclamés par une future république. La position de Victor Hugo est opposée à celle de Gustave Flaubert, qui s’exprime violemment en faveur de la répression des Communards parce que les bourgeois à la Flaubert ont eu une peur bleue. Sartre le montre très bien dans sa biographie intellectuelle inachevée de Flaubert, L’Idiot de la famille, son dernier grand ouvrage. Cette biographie montre comment Gustave Flaubert raille de façon morbide le destin des Communards à proportion de ce que lui-même se voit comme sans histoire, sans projet, rejeton d’une époque morte avant lui, héritier d’une période purement matérialiste le Dictionnaire des Idées reçues dit bien la déception de Flaubert à l’égard de son temps. Et donc il n’imagine pas qu’un soulèvement au sens sartrien ou révolutionnaire, soit possible. On voit ainsi comment, de Hugo à Flaubert, peuvent se jouer vers ces années 1875, deux perspectives sur l’histoire Hugo réfléchit à la capacité du peuple ou de certains événements à avoir une valeur générative tandis que Flaubert écrit dans le sentiment d’une génération sans avenir, dont l’avenir est écrit d’avance et qui ne peut que se complaire dans un passé mythique. Au même moment, inconnu de la plupart, le jeune médecin Clemenceau, fils d’un républicain, devenu maire de Montmartre comprend que le destin de la Commune lègue aux Républicains l’obligation de servir le peuple en se haussant au niveau des droits universels. S’il s’oppose à la lutte des classes, c’est pour éviter de nouveaux massacres et la victoire de la réaction mais c’est lui qui créera le Ministère du Travail pour Albert Thomas. Les romans de Flaubert évoquent avec une nostalgie morbide des événements et des héros passés, qu’il s’agisse de L’Éducation Sentimentale ou de Madame Bovary, a fortiori quand il s’agit de La Tentation de Saint-Antoine ou d’autres de ses romans qui se passent en Égypte, Salammbô. À l’opposé de cela, Victor Hugo se veut prophète d’un avenir républicain au moment même où il réfléchit sur la Révolution française. Donc, il y a une filiation très directe ici du roman de Hugo à la pensée philosophique de Sartre. Godefroy Ségal – Jusqu’où peut-on aller dans la lecture d’une période historique ? Je ne sais pas. Pour Quatrevingt-Treize, en tout cas, pour Hugo, je me suis posé la question, d’autant plus qu’avant de monter cette pièce, j’en avais écrit une autre sur la guerre de Cent Ans, avec effectivement cette découverte d’une période très violente, très sombre peste, mercenaires, guerre, etc. Des historiens stipulent que l’homme d’Occident avait découvert la mort durant cette période, en tout cas, cette peur de la mort violente puisqu’on sait que sur cette première période de la guerre de Cent Ans, schématiquement, la moitié de la France avaient disparu, qu’ils soient paysans, nobles, aristocrates. Cette présence de la disparition violente d’un groupe d’hommes avait changé les pensées. On oublie toujours l’histoire de Victor Hugo par rapport à la mort, et notamment la disparition de sa fille, avec cette désillusion. Quatrevingt-Treize se termine par la mort de Cimourdain, mais pas n’importe quelle mort son suicide. Il fait tuer Gauvin – ce n’est d’ailleurs pas dans le roman, il l’a supprimé parce qu’on lui reprochait toujours ces petites phrases dont il avait la facilité, mais tellement de facilité que cela paraissait toujours un peu risible –, il fait donc exécuter Gauvin qui a trahi, alors qu’il est quasi son fils, ou du moins il le considère comme tel. C’est l’homme qu’il aime le plus, et en même temps, au moment où Gauvin est exécuté, guillotiné, il se suicide. Ce Quatrevingt-Treize fait naître un sentiment vers le futur, et c’est ce dont parle Hugo, en tout cas c’est la destinée de son livre. Nous, en tant que personne qui vivons quasi que dans le soi-disant faux du théâtre et de la représentation, il y a ce suicide. J’ai toujours pensé à cette vanité, Hamlet, et le crâne. Hugo a une lecture de cette période, de la Terreur, de 1793, comme une nouvelle façon de vivre la vie. Il parle souvent de ces morts de 1793, ces crimes, cette défense, qu’il ne faut pas les oublier, ni les cacher, et qu’il faut vivre avec. Il parle énormément d’éducation. On revient à tous les écrits, quand Hugo raconte que les livres font les crimes », la représentation aristocratique de la France avant. C’est assez étonnant de voir à quel niveau il associe la mort et l’effacement de la monarchie par rapport à un manque. C’est là où il a beaucoup réfléchi sur Robespierre. Il a trouvé une lumière dans la religion. Je me suis toujours demandé en quoi Robespierre, élevé religieusement, dans des écoles privées, avait senti la nécessité de l’Être de cette histoire, d’Être suprême. J’ai l’impression que la vie sans monarchie, comme disait Voltaire, sans cette instance qui dit ne fais pas cela parce que tu dois respecter, tu dois vivre pour servi. ». Hugo avait conscience qu’il y avait un manque, ce servage une fois disparu. On retrouve cela chez Robespierre. En effet, pour lui, 1793 est l’énorme année de défense sur l’éducation, sur les livres, la transmission, le savoir, comme si finalement, la monarchie qui pouvait se passer de cela ne pouvait pas disparaître sans qu’on puisse vivre autrement. L’éducation allait être la pierre de taille de la république. À mon avis, Hugo serait assez fâché actuellement, parce que je ne sais pas si notre République, qui a découlé de cette Révolution, peut vivre sans cela, mais j’ai l’impression que nous l’avons un peu oublié. Quatrevingt-Treize est également une réflexion sur la mort. On a toujours parlé de la guillotine, de cette mort sans souffrance. Avant, on tuait, mais c’était aussi pour faire souffrir, on condamnait, mais l’homme devait souffrir, il avait fait du mal, trahi, il fallait qu’il paye. Là, on ne le faisait pas payer comme cela. Quatrevingt-Treize, c’était cette guillotine, un instant, cette disparition. Du coup se pose la question de la vie. Mais pourquoi ? Avant, on devait. On naissait, on était paysan, on devait cultiver la terre pour nourrir le seigneur. D’ailleurs, les Bretons étaient tous seigneurs, c’est pour cela qu’ils se sont révoltés au début. On voulait les imposer. L’endettement de la France fait que Louis XVI avait besoin de récupérer de l’argent, donc il avait décidé d’imposer les nobles, les hobereaux se sont engagés personnellement puisqu’ils avaient de grandes terres, mais ils étaient seigneurs. Et cela leur coûtait cher. Gérard Wormser – Dans le chapitre du portrait politique de Cimourdain, Victor Hugo écrit Ses parents, paysans, en le faisant prêtre, avaient voulu le faire sortir du peuple ; il était rentré dans le peuple. Et il y était rentré passionnément. Il regardait les souffrants avec une tendresse redoutable. De prêtre il était devenu philosophe, et de philosophe athlète. Louis XV vivait encore que déjà Cimourdain se sentait vaguement républicain. De quelle république ? De la république de Platon peut-être, et peut-être aussi de la république de Dracon. […] Il était arrivé ainsi à 93. 93 est la guerre de l’Europe contre la France et de la France contre Paris. Et qu’est-ce que la révolution ? C’est la victoire de la France sur l’Europe et de Paris sur la France. De là, l’immensité de cette minute épouvantable, 93, plus grande que tout le reste du siècle. Rien de plus tragique, l’Europe attaquant la France et la France attaquant Paris. Drame qui a la stature de l’épopée. 93 est une année intense. L’orage est là dans toute sa colère et dans toute sa grandeur. Cimourdain s’y sentait à l’aise. Ce milieu éperdu, sauvage et splendide convenait à son envergure. Cet homme avait, comme l’aigle de mer, un profond calme intérieur, avec le goût du risque au-dehors. Certaines natures ailées, farouches et tranquilles sont faites pour les grands vents. Les âmes de tempête, cela existe. Il avait une pitié à part, réservée seulement aux misérables. Devant l’espèce de souffrance qui fait horreur, il se dévouait. Rien ne lui répugnait. C’était là son genre de bonté. Il était hideusement secourable, et divinement. » 9 Ce qui est très intéressant ici est que Victor Hugo décrit de façon fusionnelle un personnage symbole et un temps qui dépasse ce que chacun de ceux qui l’ont vécu peuvent imaginer comprendre. Il le dit un peu ailleurs, à la fin de ce même chapitre Personne aujourd’hui ne sait son nom. L’histoire a de ces inconnus terribles. » Et dans de multiples lieux, il dit que personne ne sait exactement l’histoire qui se fait. Godefroy Ségal – C’est vrai que Victor Hugo marche toujours en double. Ses personnages sont toujours doublés. Dans cette pièce, les comédiens font toujours quasi leur contraire, puisqu’ils ne sont que cinq pour faire beaucoup de personnages. Plus on regardait le personnage de Cimourdain, plus on voyait quelque chose de très Robespierre dans son Cimourdain. Et j’ai l’impression que Cimourdain est le quasi double du propre Robespierre qui est déjà au cabaret du Paon, avec Danton, et Marat. J’ai l’impression que pour Hugo, Cimourdain était une forme de Robespierre. Yannick Bosc – À propos de la dimension religieuse que vous évoquez, je voudrai rappeler qu’il faut totalement dissocier le culte de l’Être suprême d’un quelconque culte de la personnalité et considérer qu’il s’agit d’une tentative pour faire communier l’ensemble des Français autour des principes de la Déclaration qui fondent la société. Jonathan Smyth, un historien anglais, a récemment étudié la dimension technique très concrète des fêtes de l’Être suprême en province. Partout où elles se sont déroulées, elles ont nécessité une organisation conséquente il faut les financer, déplacer des mètres cubes de terre, construire des décors, trouver des enfants qui chantent, composer des musiques, etc. Or, cet historien a montré que l’investissement autour de cette fête avait été très fort, beaucoup plus que pour les autres fêtes. Selon lui, un besoin s’exprimait là. Cela renvoie à ce que vous évoquez, c’est-à-dire l’idée que face à la disparition des cadres de l’Ancien Régime, il fallait trouver des structures pour relier les individus entre eux. Quand Robespierre, avec le Comité de salut public, développe cette idée, il y aussi la critique de la déchristianisation. Il reproche aux déchristianisateurs d’aller embêter les vieilles dames qui veulent recevoir l’extrême onction et de mettre en œuvre une politique contre-productive ces croyances populaires ne sont finalement pas trop dangereuses, mais en les stigmatisant, elles le deviennent. Cela signifie-t-il que Robespierre est religieux ? Je ne le pense pas. En tout cas il a politiquement intégré cette dimension. C’est à mon avis une des raisons du rejet dont il est l’objet dans une certaine gauche anticléricale qui met plutôt en avant des révolutionnaires franchement athées ou caractérisés par des pratiques déchristianisatrices. Il faut également se souvenir que dans le décret qui institue les fêtes de l’Être suprême la liberté de conscience est réaffirmée les fêtes de l’Être suprême ne doivent pas se substituer aux religions. On rappelle donc l’article de la Déclaration des Droits qui indique que chaque personne est libre dans son culte. De la salle – Je connais assez peu l’histoire de la Révolution française donc cela m’a beaucoup intéressé. Je la connais de ce que j’ai appris à l’école il y a bien longtemps. Je n’ai jamais lu Victor Hugo. J’ai une question autour du signifiant république ». Je me demande aujourd’hui ce qu’il en reste. Vous avez un peu posé la question. Victor Hugo se retournerait dans sa tombe de ce qu’il reste de la question notamment du savoir et de l’éducation. Ma question s’articule en deux temps. D’abord, autour de nos gouvernants aujourd’hui du côté de l’élite et du côté – je m’engage beaucoup en le disant, et j’assume – de l’écrasement du peuple, parce que je crois qu’aujourd’hui, quand le peuple veut prendre la parole en France, c’est compliqué. La seconde question est pour articuler ce que vous disiez en introduction, des questions des révolutions. Je pose d’abord une question sur le terme de révolution. En Tunisie, en Égypte, et dans d’autres pays aujourd’hui, sont-elles des révolutions au même titre que celle de 1789 pour nous ? Du coup, je m’interroge sur les liens amicaux très forts entre nos gouvernants d’aujourd’hui en France et ceux qui viennent de tomber en Tunisie, en Égypte, etc. Que reste-t-il de la République ? Qu’est-ce que la République aujourd’hui ? Quand on se dit républicain aujourd’hui, que dit-on ? Yannick Bosc – L’idée de république a une histoire. La république telle qu’elle est pensée au 18e siècle n’est pas forcément la nôtre. Si on prend un Larousse, on va trouver pour le terme république » la définition suivante gouvernement dans lequel le pouvoir n’est pas exercé par un seul homme qui est désigné par hérédité. Donc, on est devant une définition de la république en creux qui est l’inverse de la monarchie. Cela ne semble guère faire débat de nos jours. En revanche, lorsqu’on étudie l’usage de ce terme pendant la Révolution française, on constate qu’il est un enjeu essentiel des débats politiques. La Révolution française pourrait être définie comme un conflit des conceptions de la république. Par exemple, la république est-elle une forme de gouvernement ou un principe ? Les thermidoriens ont tranché en faveur d’une définition minimale en indiquant qu’elle était essentiellement une forme de gouvernement contraire à la monarchie. Mais avant, et en particulier du côté des Montagnards ou de Thomas Paine qui partage également cette lecture, la république est d’abord un principe. Elle est le fait que toutes les relations entre les êtres humains qui la composent, sont fondées sur l’égalité en droit en d’autres termes ils sont tous libres, c’est-à-dire qu’ils ne sont dominés pas personne et que personne ne les domine. Cela veut dire que l’on peut même, à la limite, être gouverné par un roi à condition que ce principe soit respecté. Robespierre par exemple, n’est pas de ceux qui estiment en 1790 ou 1791 que le renversement du monarque soit nécessaire en revanche il est nécessaire que les principes déclarés en 1789 soient appliqués. Ce régime politique prend donc au sérieux les Droits de l’Homme et du Citoyen c’est-à-dire qu’il va essayer de réaliser ces principes. Ce ne sont pas simplement des idées qui peuvent guider le législateur. Dans cette version de la république, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est la norme elle est la Constitution c’est-à-dire qu’elle constitue la société, fonde l’état social. La constitution n’est pas réduite au texte qui désigne les différents pouvoirs. Ce qui définit une république, c’est donc le fait que les droits naturels des hommes qui définissent la loi sont garantis. Pendant la Révolution française, il y a également conflit sur ce que recouvrent ces droits naturels garantis. Les luttes extraordinaires qui se déroulent à la Convention, et dont rend compte Hugo, portent sur ce point. Quels sont ces droits que l’on doit garantir ? Doit-on par exemple garantir la propriété ? Si oui, de quelle propriété parle-t-on ? Est-ce simplement la propriété des choses, matérielle, des biens ? Ou est-ce la propriété de ce qui permet d’exister ? Est-ce la propriété de mes droits également ? Cette propriété renvoie-t-elle simplement à des choses matérielles, ostensibles, de beaux châteaux, des équipages comme dit Robespierre ou est-ce la propriété la plus humble, le fait simplement que je puisse exister, et que l’on me garantisse mes droits ? Du côté des Montagnards, on tranche en faveur d’une république dans laquelle les hommes se sont rassemblés en société afin que le plus faible d’entre eux ait sa place. Il n’y a pas société, c’est-à-dire qu’il n’y a pas république si la vie du plus faible n’est pas garantie. C’est le principe du droit à l’existence. Face à cela, il existe d’autres conceptions de la république, en particulier celle des Girondins pour lesquels il y a république si tout propriétaire voit ses droits de propriété garantis, c’est-à-dire s’il peut faire un libre usage de ses biens. Condorcet estime par exemple que la liberté illimitée du propriétaire générera naturellement la prospérité et une redistribution des richesses. Nous sommes les héritiers d’une vision de la république qui a en grande partie élagué et mis de côté la conception montagnarde, et effacé la dimension sociale du débat sur la liberté au 18e siècle. Le programme du Conseil National de la Résistance constitue à bien des égards la redécouverte de ces principes de droit naturel, du droit à l’existence, de la liberté tels qu’ils sont pensés dans la tradition républicaine jusqu’au 18e siècle. Cette redécouverte ne se fait pas dans des livres, mais dans la pratique, dans la lutte pour la liberté contre le nazisme. Entre 1795 et 1946 souligne l’historienne Florence Gauthier, il n’y a pas de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à la tête d’une Constitution. Il faut attendre 1946 et la fin de la lutte contre le nazisme, pour qu’une Déclaration réapparaisse et refonde la république et le contrat social. Ce programme du CNR est actuellement visé par ceux qui dirigent notre République. Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF, l’a dit clairement il faut déconstruire le programme de redistribution et de sécurité sociale du Conseil National de la Résistance, qui permet au plus faible d’avoir sa place. Contre l’assistanat il faut au contraire réintroduire le risque individuel et sa gestion privée, au nom de l’idéal type de l’individu entrepreneur, libre d’exercer sa liberté de propriétaire. Dans ce modèle où le citoyen se réduit à l’homme économique, le mieux consiste à avoir plus, le progrès est dans le bien. Cette conception politique se satisfait d’une république réduite à une forme. Du côté de la république montagnarde, on est à l’inverse dans l’idée que le progrès est une limite au bien, une certaine frugalité que la faillite des logiques productivistes nous désigne de nouveau comme souhaitable. Sur le lien entre 1789 et les événements actuels en Tunisie, je pense que les Tunisiens ne font pas leur 89 au sens où ils seraient encore au 18e siècle. Cela a pu apparaître dans un certain nombre d’entretiens avec des historiens, en particulier Jean Tulard, qui se sont adonnés à une espèce de jeu des parallèles en reprenant le modèle de la Révolution française pour tenter de discerner les événements qui pouvaient advenir, comme le risque de césarisme lié au rôle de l’armée. Selon moi, on peut seulement considérer que, comme en 1789, c’est un mouvement porté par des valeurs morales, dont le principe du droit à l’existence, et une indignation totale face à l’injustice. L’enthousiasme pour le droit que manifeste le peuple si anarchiste pendant la Révolution française, est également fondé sur une indignation. Et cela donne beaucoup de force. Quand on se bat pour des principes, pour des valeurs, on ne peut pas s’arrêter. C’est pour cela qu’on parle de la liberté ou de la mort. C’est pour cela qu’on peut se sacrifier et que Cimourdain peut se tuer. Je me demande d’ailleurs quand il rencontre Marat, Robespierre et Danton, quand on lui donne cette mission, s’il ne sait pas déjà qu’il va mourir. Godefroy Ségal – Il accepte en tous les cas l’idée que s’il faillit, si en tout cas il doit céder à quelque chose parce qu’il comprend qu’il va être en face de son quasi fils adoptif, qu’il ne l’a pas vu depuis des années, qu’il n’a pas vu grandir, il dit que s’il doit le faire condamner, il le fera condamner. Yannick Bosc – Et on peut mourir et tuer. Comme en Tunisie, on peut s’immoler, être sur une place et risquer sa vie face à des balles réelles. Des résistants entre 1940 et 1944 peuvent tuer, alors qu’ils seront probablement hostiles aussi à la peine de mort. Ce qui caractérise véritablement une révolution, c’est qu’on agit pour des valeurs, pour des principes et qu’on ne peut pas transiger. C’est pour cela qu’il n’y a pas de compromis possible soit mon droit à ne pas être dominé est garanti, soit c’est la guerre. Gérard Wormser – Certaines personnes ont fait le lien entre différentes étapes de nos institutions. Claude Nicolet, décédé récemment, à la fois historien de l’Antiquité, de Rome et de la République romaine et conseil politique de Jean-Pierre Chevènement, les deux choses ne vont pas forcément si facilement ensemble, a écrit un livre intitulé L’idée républicaine en France. Il a exposé de façon parfois un peu trop systématique le corps doctrinal de la république radicale, disons en 1905. Comme il y a un corps de doctrine, sous l’apparence de mesures opportunistes ou radicales liées à des débats d’assemblée ou à des changements de ministère, il y a bien une idée républicaine transcendante, qui se réclame de principes allant jusqu’à inclure le droit du travail et les garanties données aux principaux éléments de la Déclaration des Droits de l’Homme dans la IIIe République. Ceci pour dire qu’il y a des modèles institutionnels. On peut passer de Platon et Aristote et arriver jusqu’aux républiques sociales de l’après-Seconde Guerre mondiale, sans rupture de continuité. Naturellement, chaque époque aura son usage on a prononcé le mot république dès le 18e siècle, mais cela avait alors un sens différent, renvoyant plutôt à l’idée de la vertu romaine, ou à la liberté hollandaise, en s’opposant surtout à l’absolutisme. Le débat auquel vous faites allusion est le débat entre les idées de république et les concepts de démocratie. Il y a une célèbre note du Contrat social de Rousseau, bréviaire de la démocratie, dans lequel Rousseau explique la démocratie est un régime trop parfait pour les hommes, il ne pourrait convenir qu’à des dieux. » Ce qui est de sa part une sorte de pétition de fin de projet les dieux, si multiples et si puissants soient-ils, sont supposés par définition ne pas avoir besoin d’un supérieur pour les diriger. Dire qu’une démocratie n’est possible que pour les dieux, c’est donc signifier que ceux qui auraient vraiment besoin de démocratie sont incapables de se l’appliquer. Dans ce texte du 18e siècle tenu pour exposer une pensée matricielle de la Révolution, il est donc écrit en toutes lettres qu’on ne peut pas imaginer la démocratie réalisée ! La volonté générale est un concept qui permet de critiquer les institutions dont nous disposons, mais dont on ne voit pas quelles en seraient les conditions réelles d’application, étant entendu ce que sont les hommes et ce que peuvent être les lois. Dès les premières phrases du Contrat social prendre les lois pour ce qu’elles peuvent être et les hommes pour ce qu’ils sont », Rousseau montre qu’on peut bien prendre des lois et cultiver des idéaux démocratiques, mais on n’aura pas la démocratie. Il prévient autant qu’il inspire, c’est en quoi, le legs du 18e siècle est complexe. Nos régimes si corrompus soient-ils ne le sont guère plus que ne le furent des régimes antérieurs et il n’est pas certain que des républicains conscients puissent avoir imaginé une épuration radicale. À ce moment-là, je vous renverrais à des prophètes, à différentes époques et dans différentes histoires, qui ont imaginé que la purification radicale supposait de passer de la politique à autre chose. On peut passer de la politique à la théologie, dans une radicalité de principe, qui ferait que la sacralisation d’une valeur fasse qu’on vise effectivement de rejoindre les principes dans un concept purement éthéré, fut-ce en abandonnant son vêtement de chair et en renonçant à la vie matérielle. Cela, c’est concevable, mais ce n’est plus vraiment de la politique. Il n’y a pas forcément une décadence contemporaine par rapport à un idéal qui aurait pu être pratiqué à une époque quelconque. Dès le 18e siècle, Emmanuel Kant avait écrit un traité de relations internationales, du droit cosmopolitique 10 . Il a exposé des règles qui nous inspirent encore en considérant que des républiques – régimes constitutionnels liés par certains principes – ne se font pas la guerre. Et qu’en conséquence, toute chose étant égale par ailleurs, il est infiniment préférable d’avoir des républiques, quand même elles n’appliquent pas intégralement leurs principes. Entre républiques, pas d’intention d’extermination mutuelle ! On cherchera plutôt à trouver des accords, même au cœur de polémiques importantes. Nous pouvons même dire que cela s’est vérifié depuis lors les grands conflits ont opposé des régimes dont l’ordre interne était radicalement différent ou dont le principe n’était pas républicain. D’ailleurs, pendant la Révolution, la guerre n’engageait pas simplement des rivalités de pouvoir, mais bien des régimes politiques de nature différente c’est cette différence qui provoqua la guerre et maintint la France en état de la mener contre les princes. Au-delà de la chute de l’Empire, 1815 signait un échec de la révolution qui ne pouvait sans doute pas rester sans lendemain l’hypothèse de régimes politiques républicains restait une ligne souterraine pour les jeunes européens, comme on le verra en 1848. Kant développe en outre une réflexion sur le droit cosmopolitique. Il pense que la non-ingérence est un point de départ vous ne pouvez pas à la fois reconnaître un régime étranger et dire que vous allez le diriger. En conséquence, vous devez penser à la non-ingérence. Mais cette reconnaissance oblige mutuellement les États à appliquer certaines règles à leurs ressortissants. Kant formule certaines règles du droit cosmopolitique, d’un droit de tous les hommes, qui s’impose par delà les frontières. Ainsi, par exemple il serait acquis, au minimum, d’accueillir tous les représentants de quelque régime que ce soit sur votre sol quand ils sont motivés par une ambassade ou une mission au nom de leur pays, quel que soit le régime de ce pays, fut-il complètement dictatorial et impossible. Aucun État du droit cosmopolitique ne peut récuser l’entrée sur son territoire d’un mandataire d’un autre État sans cela, comment établir le moindre dialogue sur la nature des régimes et leur transformation ? Il ajoute qu’aucune personne venant d’un autre État ne se doit se faire refuser, par principe, le droit d’accès et de traverser un territoire. Ces deux principes n’ont l’air de rien et semblent purement techniques. Mais ils permettent de poser des conditions pour réaliser ce que Kant appelle la Société des Nations ». Il faudra attendre un peu pour que cela devienne des assemblées à statut interétatique. À partir de mesures minimales comme celles-ci, on ne récuse pas les émissaires d’un gouvernement ou d’un pays étranger, on laisse passer toutes les personnes qui le demandent, à condition qu’elles respectent les usages du pays qui les accueille. Ainsi, on a l’embryon, appliqué à l’espace européen principalement dans l’esprit de Kant, d’une communauté des nations qui accepterait une sorte de laïcité politique. On n’interfère pas directement avec le régime interne de chacun des États. Kant a soutenu le début de la Révolution française même s’il en a redouté les excès. Il est mort sous le Directoire, et n’a pas pu commenter la suite des événements, mais on sait que son traité a été traduit pour Talleyrand. À partir d’idées comme celle-là, on peut caractériser comme provisoire, tout état de soumission, d’oppression ou d’aliénation qui existe dans un pays étranger. Les principes politiques de Kant et de Rousseau sont formulés différemment, mais ils sont rarement incompatibles les uns avec les autres. Il est constitutivement impossible d’assigner à un État, une sorte de destination à la soumission ou à l’oppression, un peuple à la soumission... Il suffit de dire que les constitutions sont transformables ou qu’elles ont fait l’objet chez nous, de transformation, pour poser l’exigence morale kantienne ou le projet politique rousseauiste stipulant qu’aucun peuple n’est voué à être éternellement soumis, qu’aucun État n’est voué à être éternellement oppresseur. Par ce principe de non-ingérence, Kant peut considérer que l’on peut le moins mal possible inciter un peuple à prendre leur propre destin en main. Le mot d’imitation est très important pour la conception de l’art au 18e siècle. L’idée d’imitation est partout, elle fait le lien entre des auteurs sensibles aux continuités, aux rapprochements avec l’Antiquité et d’autres plus attentifs à la plasticité des formes et de la création. C’est la manière dont les contemporains tentent d’anticiper ce qui vient », mais demeurent indéterminés en ces temps d’imminence. Cette époque est attentive au mimétisme animal, aux codes de transposition tant en musique que pour concevoir des automates, penser de premières modélisations et présenter l’histoire naturelle et ses bouleversements dont témoignent les fossiles. En un sens, la départementalisation, en France, suppose un tel idéal d’esthétique en même temps que technique et politique. La nouvelle norme administrative doit refléter une règle de justice morale. De plus, cette idée d’émancipation d’un peuple, en l’occurrence le peuple français, ne peut qu’induire un désir d’imitation de la part des autres peuples, elle porte une valeur exemplaire. Si Kant pense à la Prusse ou à la Russie, aux princes italiens, il édicte des principes de non-ingérence et de libre circulation relative qui posent des conditions de possibilité que la Révolution met en œuvre au nom de tous les peuples civilisés. Kant suppose que tout pays peut se libérer dans un tel cadre civilisé, et le destin d’une nation qui agit sur ce plan importe à l’Europe entière. Cornelius Castoriadis, ce grand penseur politique décédé en 1997, parle d’auto-institution. Réchappé du massacre des communistes grecs à la fin de la Seconde Guerre mondiale 11 , Castoriadis sort de son pays et se retrouve en France où il devient psychanalyste. L’auto-institution est simultanément la prise de conscience politique et la prise en main de son destin subjectif individuel 12 . Ami de Castoriadis, Claude Lefort, décédé en octobre 2010, est l’un des principaux critiques du stalinisme. Il a écrit dans les Temps modernes à l’invitation de Merleau-Ponty, et cela a donné lieu à une polémique suivie de la brouille entre Sartre et Merleau-Ponty, sur leur conception de la politique au terme du stalinisme. Ayant lu Kant et connaissant l’histoire de la Révolution, etc., Lefort a théorisé que le pouvoir démocratique, le seul dont on puisse penser la légitimité, est un pouvoir qui laisse un lieu vide. Il s’inspire de réflexions de Machiavel à ce sujet. Lefort montre qu’un pouvoir incarné est nécessairement une imposture, quelle que soit l’incarnation. Le propre du pouvoir est que personne ne l’a, personne ne l’occupe. Vous voyez le lien entre l’objet du désir selon Cornelius Castoriadis ou la psychanalyse et l’objet ou le lieu du pouvoir selon Claude Lefort, ou Jean-Pierre Faye, qui de ce point de vue là ont des choses en commun. L’idée est que le pouvoir est un lieu de désir, d’appropriation imaginaire, et non un lieu qui puisse être approprié réellement par quiconque, fut-ce un être collectif, une assemblée, un groupe de presse ou quoi que ce soit d’autre. Lefort était un penseur du totalitarisme. Le début du totalitarisme est l’idée qu’on peut transgresser l’idée de lieu vide comme lieu du pouvoir. On tourne autour, on suppute, on spécule, on réfléchit, on se désole, on se désespère, on se lamente, mais c’est toujours autour d’un lieu vide. Et là, dans ces conditions-là, peut apparaître l’auto-institution de la société par elle-même dont parle Castoriadis, ou l’ empowerment ». On peut faire ici référence à Amartya Sen, prix Nobel d’économie, qui a montré comment dans l’Inde de l’époque de l’indépendance, il n’a jamais manqué de nourriture, mais que l’administration coloniale anglaise, ou les premières administrations de l’Inde indépendante étaient incapables de faire taire les intérêts particuliers qui faisaient que les producteurs de riz préféraient garder leur stock et les laisser pourrir, plutôt que les donner à un prix qui n’était pas le prix du marché, à un gouvernement qui n’avait pas non plus nécessairement les moyens de mobiliser les chemins de fer pour transporter ce qu’il fallait là où il fallait, ou de le distribuer aux populations là où elles en avaient le plus besoin. On peut passer effectivement de Castoriadis ou Lefort à des réflexions très contemporaines sur l’idée de l’ empowerment » ou sur l’idée des réseaux d’autogouvernements locaux qui font partie de l’équipement conceptuel avec lesquels un certain nombre de collectivités dans le monde essaie de penser un gouvernement local qui se passerait d’institutions nationales dès lors que ces institutions nationales sont toujours accaparées, appropriées, par les fripons dont parle Robespierre. Yannick Bosc – Rapidement à propos des écarts entre la Révolution française et aujourd’hui, il y a cette question qui me semble centrale qu’est-ce qu’occuper une magistrature, qu’est-ce qu’être élu du peuple ? Robespierre dit Le peuple est naturellement vertueux, ses magistrats sont corruptibles. » Vertueux » est ici entendu au sens de Montesquieu pour qui la vertu républicaine réside dans l’amour de l’égalité. Cela signifie que le peuple est naturellement pour que ses droits soient garantis. En d’autres termes, le peuple souverain est d’accord pour rester le peuple souverain. En revanche, ces magistrats ont eux, besoin de faire preuve de cette vertu politique et qu’on leur rappelle systématiquement le principe de l’amour de l’égalité. Pour le magistrat cela signifie faire un effort. Les termes de Montagne, Montagnards, renvoient à l’idée que la démocratie est quelque chose de difficile, qu’il faut affronter cette montagne politique, presque biblique. C’est la raison pour laquelle la démocratie implique une surveillance continuelle du peuple sur ses magistrats. Le comportement de certains ministres nous le rappelle aujourd’hui. Catherine Bodet – Quelles sont les conditions qui ont permis que ce sujet de la Terreur et de la Révolution, resté au placard, émerge ces dernières années ? Gérard Wormser – Le désenchantement public à l’égard des différentes institutions a marqué les deux ou trois dernières générations. C’est l’idée d’avoir besoin de références nouvelles, alors que pendant longtemps le tiers-mondisme ou le communisme ont pu servir de référence par delà le vécu quotidien. Depuis 1989, il y a une sorte de déception démocratique en Europe, théorisée notamment par Jürgen Habermas, philosophe et sociologue allemand 1989, réel moment de grande euphorie pour l’ensemble des Européens, se trouve accaparée 5 ou 6 ans après par l’idée de consommation générale, la manière dont les banques américaines se sont ruées sur Moscou dès que le régime de l’Union soviétique a été mis à bas formellement, en a été le plus manifeste sujet. À partir de ce moment-là, une porte s’est ouverte pour le public en général pour reconsidérer une histoire politique dont on voyait bien qu’elle jouait à vide, comme l’orchestre du Titanic, à une Europe qui depuis n’a fait que sombrer doucement quelque part dans l’Atlantique. Maintenant, c’est une réponse de contemporain. Ce n’est pas une réponse épistémologique. Yannick Bosc – Je ne sais pas si je vais vous faire une réponse épistémologique, mais la raison pour laquelle je travaille sur le 18e siècle est également liée à ma position de contemporain il s’agit de définir une perspective historique qui nous permette de comprendre et de rendre compte des impasses du monde dans lequel nous vivons afin de pouvoir agir. La Révolution française que nous a léguée le récit standard n’aide pas à saisir, mais au contraire masque les contradictions politiques avec lesquelles nous nous débattons. Elles résultent de la défaite du droit à l’existence et de la répression massive du mouvement populaire qui accompagnent, en France comme en Angleterre, le processus d’industrialisation. La peur panique qu’a suscitée la Terreur chez les possédants accélère la construction d’un citoyen économique. Le langage de l’économie devient le langage de la politique. Cela va générer l’idéologie productiviste et économiciste de la révolution industrielle, dont on voit très concrètement les limites de nos jours. Revenir sur la Révolution française, c’est donc essayer de reconsidérer les multiples chemins ouverts à cette époque-là, les multiples possibles qui ont existé et qui ont été occultés par le discours des gagnants c’est-à-dire celui qui nous a conduits à la crise profonde de nos sociétés. Il est fascinant de constater qu’un certain nombre de questions actuelles sont déjà posées à l’époque dans les mêmes termes. Des philosophes et des économistes qui réfléchissent sur les théories de la justice sociale, par exemple autour des thèses de Rawls, peuvent retrouver dans des débats du 18e siècle ou de la Révolution française, des arguments concrètement efficaces pour notre époque. C’est le cas du principe d’allocation universelle Basic Income, une des expressions du droit à l’existence, qui est formulé par Thomas Paine contre les choix politiques des thermidoriens qui favorisent les propriétaires. Tout se passe comme si le temps se comprimait, et que le 18e siècle était en prise directe sur le 21e siècle, comme si un cycle de deux siècles arrivait à épuisement, et qu’il nous faille forger d’autres manières de voir, en particulier, sur le plan historique, un autre passé pour mieux comprendre où nous en sommes. Gérard Wormser – C’est aussi une fonction du travail de mise en circulation. On a aujourd’hui des moyens de mettre en circulation beaucoup plus facilement vers beaucoup plus de monde que cela n’était le cas au 18e siècle. Il faut revenir à l’idée qu’une grande partie de ce qui s’est fait à la fin du 18e siècle a été précédée d’une intense maturation culturelle dans l’ensemble des petites villes européennes, à travers la circulation de livres, des discussions de café, les journaux, le commentaire des nouvelles, y compris d’ailleurs sur de nouveaux domaines, des connaissances astronomiques ou des découvertes archéologiques Pompéi, etc.. Il ne faut pas négliger l’importance du renouvellement du stock de connaissances au 18e siècle pour aborder la prise de conscience par nombre de personnes en Europe de la possibilité de modifier l’ordre existant. Ne sommes-nous pas dans une situation assez comparable ? Il y a énormément de connaissances nouvelles sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, beaucoup de domaines où la circulation des connaissances et la mise en débat peut se trouver favoriser. L’importance du théâtre dans les événements politiques, à toutes les époques, sans même remonter à la Grèce, est fondamentale. Et aujourd’hui, notre nouvel instrument serait lié aux formes d’interaction numérique c’est ainsi que la revue Sens Public peut contribuer à de multiples recherches d’informations, de textes et de réflexions actualisées. Certes, il y a une dimension d’espérance dans cette affirmation. Dans beaucoup de domaines, nos administrations s’avèrent si impuissantes à dépasser leur propre registre de fonctionnement que cela laisse paradoxalement aux petits groupes auto-organisés une sphère d’action beaucoup plus large que ce qu’on pouvait penser voici une vingtaine d’années. N’attendons pas forcément les réformes du sommet pour accroître nos capacités à échanger et à construire un monde social. Godefroy Ségal – Pour répondre aux deux questions auxquelles je n’ai pas répondu, je souhaite conclure là-dessus. Théâtralement, ce qui est formidable dans ce roman, alors que ce n’est pas une écriture dramaturgique du tout classique, puisque c’est un roman, il y a chez Hugo et dans Quatrevingt-Treize, un mouvement incroyable, c’est vraiment quelque chose en branle. Pour une fois, j’avais la sensation, quand j’ai repris ce travail préparatoire il y a une dizaine d’années, que Hugo me racontait l’existence d’hommes qui faisaient les choses par rapport à ce qu’ils ressentaient, alors que je n’arrête pas d’entendre les hommes politiques, quelles que soient les opinions, qu’on vit dans tel monde et qu’il faut faire les choses comme ce monde dit de les faire, en disant qu’on ne peut pas être isolés ou quoi que ce soit. Je vois avec Quatrevingt-Treize, des hommes qui ont fait naître quelque chose, simplement parce qu’ils pensaient que c’était juste que les choses deviennent comme cela. Effectivement, vous parliez tout à l’heure de mimétisme, et là, du coup, c’est dire que nous, nous n’allons pas forcément imiter. Et Hugo extrémise tout son discours. Il montre à quel point ces hommes ont été en lutte finalement contre tout le monde, la France contre Paris, les terres étrangères contre la France. Ils y ont été tout seuls, après avec ce bras qu’était Napoléon Bonaparte, cette excroissance qui a donné du mouvement dans un autre sens, mais avec tout de même les enfants de la République, en tout cas, les mêmes combattants. Cela a fait naître une sacrée génération, Gérard de Nerval dont le père fut comme celui de Hugo, soldat de la république puis de l’empire Hugo… ce qui n’était pas rien pour cette génération du 19e siècle, dans un autre sens, contre le monde. Éditions Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires », Paris, 1978, 259 p. ; nouvelle éd. revue et corrigée, 1983. ↩ Convention Nationale, Séance du 26 thermidor an III, Le Moniteur, réimpr., p. 497. ↩ La Décade, n°44, pp. 79-80. ↩ Édition Gallimard, coll. Idées », 1982, 274 p. ↩ Jean Starobinski a établi avec pertinence que la Révolution doit son succès, son rythme, son accélération catastrophique, à la coalition imprévue des Lumières ou si l’on veut du réformisme éclairé et de l’obscure poussée des foules irritées. C’est l’histoire d’une pensée qui, au moment du passage à l’action, est reprise en charge, relayée, dépassée par une violence qu’elle n’avait pas prévue et dont elle s’efforcera de déchiffrer le sens et de guider les réactions dans le langage autoritaire des proclamations et des décrets. Ainsi s’engendre une dialectique complexe... » Jean Starobinski, 1789, les emblèmes de la raison, Flammarion, 1973, p. 55. L’auteur constate en effet que le mythe solaire de la Révolution est l’une de s ces représentations collectives dont le caractère général et imprécis a pour contrepartie une large puissance de diffusion » ibid., p. 34. L’enthousiasme européen ratifie cette métaphore lumineuse qui voit les événements parisiens repousser dans les ténèbres les abus de l’absolutisme. Mais ce sera bientôt au prix de l’impossibilité de régenter les conflits partisans. Dès avant l’événement, le thème du Serment était apparu dans la culture européenne, comme l’atteste le tableau de David, le Serment des Horaces, achevé en 1785. Le serment se présente ainsi comme une prise sur l’avenir indéterminé. Sur ce point, Starobinski rejoint les analyses données par Sartre dans la Critique de la raison dialectique, et dès 1947 dans les Cahiers pour une Morale restés inédits jusqu’en 1983 – voir plus bas n. 7, après avoir fait de cette dialectique entre la transparence et l’obstacle » le foyer de l’esprit de Jean-Jacques Rousseau – voir Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, Plon, 1957 ↩ C’est à peine si cette dimension apparaît encore dans le débat politique français. Nous pouvons mesurer ici le changement de références de nos sociétés. La nature des compétences exigées des responsables politiques ne relève plus de leur capacité à inscrire leur action dans une fresque historique. Devenue une constante des discours actuels, la mise en récit se borne à éclairer des décisions pratiques par de vagues rapprochements chacun peut évoquer à sa guise Jaurès ou de Gaulle. Dans un entretien consacré à sa relation à l’histoire avec Emmanuel Laurentin pour France-culture, François Hollande mentionne Henri IV, Mitterrand et la mémoire familiale de la Grande Guerre. Le journaliste peine à le faire sortir d’un chapelet récité et scolaire, esquisse une évocation de Gandhi qui n’appelle aucun écho... S’étonnera-ton de la difficulté à rénover l’enseignement ? ↩ Éditions de la Fabrique. ↩ Une Saison de machettes. ↩ Extrait du Livre Ier, chap. 2. ↩ Voir le texte de Gérard Wormser sur cet ouvrage ↩ Les partisans grecs furent abandonnés par Staline après Yalta aux règlements de compte entre Grecs. ↩ Christophe Prémat a présenté plusieurs aspects de la pensée de Castoriadis sur le site, par exemple ou ↩Josephde Maistre n’eut pas d’influence majeure sur les événements de cette période, mais il est considéré à juste titre comme l’un des plus grands théoriciens avec Louis de Bonald (1754-1840) de ce que l’on a coutume d’appeler la contre-révolution.Saint-Simon, Auguste Comte, Baudelaire, Bloy, Valéry, mais aussi Camus, Cioran ou bien encore aujourd’hui MG.
journal article Melancholy, Trauma, and National Character Mme de Staël's Considérations sur les principaux événements de la Révolution française Studies in Romanticism Vol. 49, No. 2, Nostalgia, Melancholy, Anxiety Discursive Mobility and the Circulation of Bodies SUMMER 2010, pp. 261-292 32 pages Published By The Johns Hopkins University Press Read and download Log in through your school or library Read Online Free relies on page scans, which are not currently available to screen readers. To access this article, please contact JSTOR User Support. We'll provide a PDF copy for your screen reader. With a personal account, you can read up to 100 articles each month for free. Get Started Already have an account? Log in Monthly Plan Access everything in the JPASS collection Read the full-text of every article Download up to 10 article PDFs to save and keep $ Yearly Plan Access everything in the JPASS collection Read the full-text of every article Download up to 120 article PDFs to save and keep $199/year Purchase a PDF Purchase this article for $ USD. Purchase this issue for $ USD. Go to Table of Contents. How does it work? Select a purchase option. Check out using a credit card or bank account with PayPal. Read your article online and download the PDF from your email or your account. Preview Preview Journal Information Studies in Romanticism is the flagship journal in its field, a quarterly with international circulation, publishing articles representing the full range of disciplines within the Romantic period. It was founded in 1961 by David Bonnell Green. SiR as it is known to abbreviation has flourished under a fine succession of editors Edwin Silverman, W. H. Stevenson, Charles Stone III, Michael Cooke, Morton Paley, and continuously since 1978 David Wagenknecht. Since 1976, SiR has regularly published thematically-controlled "special issues," as well as miscellanies. Sometimes issues have been devoted to geographical or national kinds German Romanticism, Scottish Romanticism, or to authors, even to particular works "Sardanapalus", or to gifted scholars "Homage to David Erdman" or to special approaches Paul de Man's "The Rhetoric of Romanticism", and in every instance SiR has reached out, beyond eminences, to new scholars who demonstrate invention as well as rigor. Publisher Information One of the largest publishers in the United States, the Johns Hopkins University Press combines traditional books and journals publishing units with cutting-edge service divisions that sustain diversity and independence among nonprofit, scholarly publishers, societies, and associations. Journals The Press is home to the largest journal publication program of any university press. The Journals Division publishes 85 journals in the arts and humanities, technology and medicine, higher education, history, political science, and library science. The division also manages membership services for more than 50 scholarly and professional associations and societies. Books With critically acclaimed titles in history, science, higher education, consumer health, humanities, classics, and public health, the Books Division publishes 150 new books each year and maintains a backlist in excess of 3,000 titles. With warehouses on three continents, worldwide sales representation, and a robust digital publishing program, the Books Division connects Hopkins authors to scholars, experts, and educational and research institutions around the world. Project MUSE Project MUSE is a leading provider of digital humanities and social sciences content, providing access to journal and book content from nearly 300 publishers. MUSE delivers outstanding results to the scholarly community by maximizing revenues for publishers, providing value to libraries, and enabling access for scholars worldwide. Hopkins Fulfillment Services HFS HFS provides print and digital distribution for a distinguished list of university presses and nonprofit institutions. HFS clients enjoy state-of-the-art warehousing, real-time access to critical business data, accounts receivable management and collection, and unparalleled customer service. Rights & Usage This item is part of a JSTOR Collection. For terms and use, please refer to our Terms and Conditions Studies in Romanticism © 2010 The Johns Hopkins University Press Request PermissionsEn1818, l’ouvrage posthume de Germaine de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, qui
The Project Gutenberg EBook of Histoire de la Révolution française, VII. by Adolphe Thiers This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at Title Histoire de la Révolution française, VII. Author Adolphe Thiers Release Date April 8, 2004 [EBook 11964] Language French *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA RVOLUTION FRANAISE, VII. *** Produced by Carlo Traverso, Tonya Allen, Wilelmina Mallière and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France BnF/Gallica at HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE PAR M. A. THIERS TOME SEPTIÈME MDCCCXXXIX CONVENTION NATIONALE. CHAPITRE XXVI. CHAPITRE XXVII. CHAPITRE XXVIII. CHAPITRE XXIX. CHAPITRE XXX. CHAPITRE XXXI. TABLE DES CHAPITRES CONTENUS DANS LE TOME SEPTIÈME. CHAPITRE XXVI. CONTINUATION DE LA GUERRE SUR LE RHIN. PRISE DE NIMÈGUE PAR LES FRANÇAIS.—POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE. PLUSIEURS PUISSANCES DEMANDENT A TRAITER.—DÉCRET D'AMNISTIE POUR LA VENDÉE.—CONQUÊTE DE LA HOLLANDE PAR PICHEGRU. PRISE D'UTRECHT, D'AMSTERDAM ET DES PRINCIPALES VILLES; OCCUPATION DES SEPT PROVINCES-UNIES. NOUVELLE ORGANISATION POLITIQUE DE LA HOLLANDE.—VICTOIRES AUX PYRÉNÉES.—FIN DE LA CAMPAGNE DE 1794.—LA PRUSSE ET PLUSIEURS AUTRES PUISSANCES COALISÉES DEMANDENT LA PAIX. PREMIÈRES NÉGOCIATIONS.—ÉTAT DE LA VENDÉE ET DE LA BRETAGNE. PUISAYE EN ANGLETERRE. MESURES DE HOCHE POUR LA PACIFICATION DE LA VENDÉE. NÉGOCIATIONS AVEC LES CHEFS VENDÉENS. Les armées françaises, maîtresses de toute la rive gauche du Rhin, et prêtes à déboucher sur la rive droite, menaçaient la Hollande et l'Allemagne fallait-il les porter en avant ou les faire entrer dans leurs cantonnemens? telle était la question qui s'offrait. Malgré leurs triomphes, malgré leur séjour dans la riche Belgique, elles étaient dans le plus grand dénuement. Le pays qu'elles occupaient, foulé pendant trois ans par d'innombrables légions, était entièrement épuisé. Aux maux de la guerre s'étaient joints ceux de l'administration française, qui avait introduit à sa suite les assignats, le maximum et les réquisitions. Des municipalités provisoires, huit administrations intermédiaires, et une administration centrale établie à Bruxelles, gouvernaient la contrée en attendant son sort définitif. Quatre-vingts millions avaient été frappés sur le clergé, les abbayes, les nobles, les corporations. Les assignats avaient été mis en circulation forcée; les prix de Lille avaient servi à déterminer le maximum dans toute la Belgique. Les denrées, les marchandises utiles aux armées étaient soumises à la réquisition. Ces règlemens n'avaient pas fait cesser la disette. Les marchands, les fermiers cachaient tout ce qu'ils possédaient; et tout manquait à l'officier comme au soldat. Levée en masse l'année précédente, équipée sur-le-champ, transportée en hâte à Hondschoote, Watignies, Landau, l'armée entière n'avait plus rien reçu de l'administration que de la poudre et des projectiles. Depuis long-temps elle ne campait plus sous toile; elle bivouaquait sous des branches d'arbre, malgré le commencement d'un hiver déjà très rigoureux. Beaucoup de soldats, manquant de souliers, s'enveloppaient les pieds avec des tresses de paille, ou se couvraient avec des nattes en place de capotes. Les officiers, payés en assignats, voyaient leurs appointemens se réduire quelquefois à huit ou dix francs effectifs par mois; ceux qui recevaient quelques secours de leurs familles n'en pouvaient guère faire usage, car tout était requis d'avance par l'administration française. Ils étaient soumis au régime du soldat, marchant à pied, portant le sac sur le dos, mangeant le pain de munition, et vivant des hasards de la guerre. L'administration semblait épuisée par l'effort extraordinaire qu'elle avait fait pour lever et armer douze cent mille hommes. La nouvelle organisation du pouvoir, faible et divisée, n'était pas propre à lui rendre le nerf et l'activité nécessaires. Ainsi tout aurait commandé de faire entrer l'armée en quartiers d'hiver, et de la récompenser de ses victoires et de ses vertus militaires par du repos et d'abondantes fournitures. Cependant nous étions devant la place de Nimègue, qui, placée sur le Wahal c'est le nom du Rhin près de son embouchure, en commandait les deux rives, et pouvait servir de tête de pont à l'ennemi pour déboucher à la campagne suivante sur la rive gauche. Il était donc important de s'emparer de cette place avant d'hiverner; mais l'attaque en était très difficile. L'armée anglaise, rangée sur la rive droite, y campait au nombre de trente-huit mille hommes; un pont de bateaux lui fournissait le moyen de communiquer avec la place et de la ravitailler. Outre ses fortifications, Nimègue était précédée par un camp retranché garni de troupes. Il aurait donc fallu, pour rendre l'investissement complet, jeter sur la rive droite une armée qui aurait eu à courir les chances du passage et d'une bataille, et qui, en cas de défaite, n'aurait eu aucun moyen de retraite. On ne pouvait donc agir que par la rive gauche, et on était réduit à attaquer le camp retranché sans un grand espoir de succès. Cependant les généraux français étaient décidés à essayer une de ces attaques brusques et hardies qui venaient de leur ouvrir en si peu de temps les places de Maëstricht et Venloo. Les coalisés, sentant l'importance de Nimègue, s'étaient réunis à Arnheim pour concerter les moyens de la défendre. Il avait été convenu qu'un corps autrichien, sous les ordres du général Wernek, passerait à la solde anglaise, et formerait la gauche du duc d'York pour la défense de la Hollande. Tandis que le duc d'York, avec ses Anglais et ses Hanovriens, resterait sur la rive droite devant le pont de Nimègue, et renouvellerait les forces de la place, le général Wernek devait tenter du côté de Wesel, fort au-dessus de Nimègue, un mouvement singulier, que les militaires expérimentés ont jugé l'un des plus absurdes que la coalition ait imaginés pendant toutes ces campagnes. Ce corps, profitant d'une île que forme le Rhin vers Buderich, devait passer sur la rive gauche, et essayer une pointe entre l'armée de Sambre-et-Meuse et celle du Nord. Ainsi vingt mille hommes allaient être jetés au-delà d'un grand fleuve entre deux armées victorieuses, de quatre-vingt à cent mille hommes chacune, pour voir quel effet ils produiraient sur elles on devait les renforcer suivant l'événement. On conçoit que ce mouvement, exécuté avec les armées coalisées réunies, pût devenir grand et décisif; mais essayé avec vingt mille hommes, il n'était qu'une tentative puérile et peut-être désastreuse pour le corps qui en serait chargé. Néanmoins, croyant sauver Nimègue par ces moyens, les coalisés firent d'une part avancer le corps de Wernek vers Buderich, et de l'autre exécuter des sorties par la garnison de Nimègue. Les Français repoussèrent les sorties, et, comme à Maëstricht et Venloo, ouvrirent la tranchée à une proximité de la place encore inusitée à la guerre. Un hasard heureux accéléra leurs travaux. Les deux extrémités de l'arc qu'ils décrivaient autour de Nimègue aboutissaient au Wahal; ils essayaient de tirer de ces extrémités sur le pont. Quelques-uns de leurs projectiles atteignirent plusieurs pontons, et mirent en péril les communications de la garnison avec l'armée anglaise. Les Anglais, qui étaient dans la place, surpris de cet événement imprévu, rétablirent les pontons, et se hâtèrent de rejoindre le gros de leur armée sur l'autre rive, abandonnant à elle-même la garnison, composée de trois mille Hollandais. A peine les républicains se furent-ils aperçus de l'évacuation, qu'ils redoublèrent le feu. Le gouverneur, épouvanté, fit part au prince d'Orange de sa position, et obtint la permission de se retirer dès qu'il jugerait le péril assez grand. A peine eut-il reçu cette autorisation, qu'il repassa le Wahal de sa personne. Le désordre se mit dans la garnison; une partie rendit les armes; une autre, ayant voulu se sauver sur un pont volant, fut arrêtée par les Français, qui coupèrent les câbles, et vint échouer dans une île où elle fut faite prisonnière. Le 18 brumaire 8 novembre, les Français entrèrent dans Nimègue, et se trouvèrent maîtres de cette place importante, grâce à leur témérité et à la terreur qu'inspiraient leurs armes. Pendant ce temps, les Autrichiens, commandés par Wernek, avaient essayé de déboucher de Wesel; mais l'impétueux Vandamme, fondant sur eux au moment où ils mettaient le pied au-delà du Rhin, les avait rejetés sur la rive droite, et ils étaient fort heureux de n'avoir pas obtenu plus de succès, car ils auraient couru la chance d'être détruits, s'ils se fussent avancés davantage. Le moment était enfin arrivé d'entrer dans les cantonnemens, puisqu'on était maître de tous les points importans sur le Rhin. Sans doute, conquérir la Hollande, s'assurer ainsi la navigation de trois grands fleuves, l'Escaut, la Meuse et le Rhin; priver l'Angleterre de sa plus puissante alliance maritime, menacer l'Allemagne sur ses flancs, interrompre les communications de nos ennemis du continent avec ceux de l'Océan, ou du moins les obliger à faire le long circuit de Hambourg; nous ouvrir enfin la plus riche contrée du monde, et la plus désirable pour nous dans l'état où se trouvait notre commerce, était un but digne d'exciter l'ambition de notre gouvernement et de nos armées; mais comment oser tenter cette conquête de la Hollande, presque impossible en tout temps, mais surtout inexécutable dans la saison des pluies? Située à l'embouchure de plusieurs fleuves, la Hollande ne consiste qu'en quelques lambeaux de terre jetés entre les eaux de ces fleuves et celles de l'Océan. Son sol, partout inférieur au lit de eaux, est sans cesse menacé par la mer, le Rhin, la Meuse, l'Escaut, et coupé en outre par de petits bras détachés des fleuves, et par une multitude de canaux artificiels. Ces bas-fonds si menacés sont couverts de jardins, de villes manufacturières et d'arsenaux. A chaque pas que veut y faire une armée, elle trouve ou de grands fleuves, dont les rives sont des digues élevées et chargées de canons, ou des bras de rivières et des canaux, tous défendus par l'art des fortifications, ou enfin des places qui sont les plus fortes de l'Europe. Ces grandes manoeuvres, qui souvent déconcertent la défense méthodique en rendant les siéges inutiles, sont donc impossibles au milieu d'un pays coupé et défendu par des lignes innombrables. Si une armée parvient cependant à vaincre tant d'obstacles et à s'avancer en Hollande, ses habitans, par un acte d'héroïsme dont ils donnèrent l'exemple sous Louis XIV, n'ont qu'à percer leurs digues, et peuvent engloutir avec leur pays l'armée assez téméraire pour y pénétrer. Il leur reste leurs vaisseaux, avec lesquels ils peuvent, comme les Athéniens, s'enfuir avec leurs principales dépouilles, et attendre des temps meilleurs, ou aller dans les Indes habiter un vaste empire qui leur appartient. Toutes ces difficultés deviennent bien plus grandes encore dans la saison des inondations, et une alliance maritime telle que celle de l'Angleterre les rend insurmontables. Il est vrai que l'esprit d'indépendance qui travaillait les Hollandais à cette époque, leur haine du stathoudérat, leur aversion contre l'Angleterre et la Prusse, la connaissance qu'ils avaient de leurs intérêts véritables, leurs ressentimens de la révolution si malheureusement étouffée en 1787, donnaient la certitude aux armées françaises d'être vivement désirées. On devait croire que les Hollandais s'opposeraient à ce qu'on perçât les digues, et qu'on ruinât le pays pour une cause qu'ils détestaient. Mais l'armée du prince d'Orange, celle du duc d'York les comprimaient encore, et réunies, elles suffisaient pour empêcher le passage des innombrables lignes qu'il fallait emporter en leur présence. Si donc une surprise était téméraire du temps de Dumouriez, elle était presque folle à la fin de 1794. Néanmoins le comité de salut public, excité par les réfugiés hollandais, songeait sérieusement à pousser une pointe au-delà du Wahal. Pichegru, presque aussi maltraité que ses soldats, qui étaient couverts de gale et de vermine, était allé à Bruxelles se faire guérir d'une maladie cutanée. Moreau et Régnier l'avaient remplacé tous deux conseillaient le repos et les quartiers d'hiver. Le général hollandais Daendels, réfugié hollandais, militaire intrépide, proposait avec instance une première tentative sur l'île de Bommel, sauf à ne pas poursuivre si cette attaque ne réussissait pas. La Meuse et le Wahal, coulant parallèlement vers la mer, se joignent un moment fort au-dessous de Nimègue, se séparent de nouveau, et se réunissent encore à Wondrichem, un peu au-dessus de Gorcum. Le terrain compris entre leurs deux bras forme ce qu'on appelle l'île de Bommel. Malgré l'avis de Moreau et Régnier, une attaque fut tentée sur cette île par trois points différens elle ne réussit pas, et fut abandonnée sur-le-champ avec une grande bonne foi, surtout de la part de Daendels, qui s'empressa d'en avouer l'impossibilité dès qu'il l'eut reconnue. Alors, c'est-à-dire vers le milieu de frimaire commencement de décembre, on donna à l'armée les quartiers d'hiver dont elle avait tant besoin, et on établit une partie des cantonnemens autour de Breda pour en former le blocus. Cette place et celle de Grave ne s'étaient pas rendues, mais le défaut de communications pendant la durée de l'hiver devait certainement les obliger à se rendre. C'est dans cette position que l'armée croyait voir s'achever la saison; et certes, elle avait assez fait pour être fière de sa gloire et de ses services. Mais un hasard presque miraculeux lui réservait de nouvelles destinées le froid, déjà très vif, augmenta bientôt au point de faire espérer que peut-être les grands fleuves seraient gelés. Pichegru quitta Bruxelles, et n'acheva pas de se faire guérir, afin d'être prêt à saisir l'occasion de nouvelles conquêtes, si la saison la lui offrait. En effet, l'hiver devint bientôt plus rude, et s'annonça comme le plus rigoureux du siècle. Déjà la Meuse et le Wahal charriaient et leurs bords étaient pris. Le 3 nivôse 23 décembre, la Meuse fut entièrement gelée, et de manière à pouvoir porter du canon. Le général Walmoden, à qui le duc d'York avait laissé le commandement en partant pour l'Angleterre, et qu'il avait condamné ainsi à n'essuyer que des désastres, se vit dans la position la plus difficile. La Meuse étant glacée, son front se trouvait découvert; et le Wahal charriant, menaçant même d'emporter tous les ponts, sa retraite était compromise. Bientôt même il apprit que le pont d'Arnheim venait d'être emporté; il se hâta de faire filer sur ses derrières ses bagages et sa grosse cavalerie, et lui-même dirigea sa retraite sur Deventer, vers les bords de l'Yssel. Pichegru, profitant de l'occasion que lui offrait la fortune de surmonter des obstacles ordinairement invincibles, se prépara à franchir la Meuse sur la glace. Il se disposa à la passer sur trois points, et à s'emparer de l'île de Bommel, tandis que la division qui bloquait Breda attaquerait les lignes qui entouraient cette place. Ces braves Français, exposés presque sans vêtemens au plus rude hiver du siècle, marchant avec des souliers auxquels il ne restait que l'empeigne, sortirent aussitôt de leurs quartiers, et renoncèrent gaiement au repos dont ils commençaient à peine à jouir. Le 8 nivôse 28 décembre, par un froid de dix-sept degrés, ils se présentèrent sur trois points, à Crèvecoeur, Empel et le fort Saint-André; ils franchirent la glace avec leur artillerie, surprirent les Hollandais, presque engourdis par le froid, et les défirent complètement. Tandis qu'ils s'emparaient de l'île de Bommel, celle de leurs divisions qui assiégeait Breda en attaqua les lignes, et les emporta. Les Hollandais, assaillis sur tous les points, se retirèrent en désordre, les uns vers le quartier-général du prince d'Orange, qui s'était toujours tenu à Gorcum, les autres à Thiel. Dans le désordre de leur retraite, ils ne songèrent pas même à défendre les passages du Wahal, qui n'était pas entièrement gelé. Pichegru, maître de l'île de Bommel, dans laquelle il avait pénétré en passant sur les glaces de la Meuse, franchit le Wahal sur différens points, mais n'osa pas s'aventurer au-delà du fleuve, la glace n'étant pas assez forte pour porter du canon. Dans cette situation, le sort de la Hollande était désespéré si la gelée continuait, et tout annonçait que le froid durerait. Le prince d'Orange avec ses Hollandais découragés à Gorcum, Walmoden avec ses Anglais en pleine retraite sur Deventer, ne pouvaient tenir contre un vainqueur formidable, qui leur était de beaucoup supérieur en forces, et qui venait d'enfoncer le centre de leur ligne. La situation politique n'était pas moins alarmante que la situation militaire. Les Hollandais, pleins d'espérance et de joie en voyant s'approcher les Français, commençaient à s'agiter. Le parti orangiste était de beaucoup trop faible pour imposer au parti républicain. Partout les ennemis de la puissance stathoudérienne lui reprochaient d'avoir aboli les libertés du pays, d'avoir enfermé ou banni les meilleurs et les plus généreux patriotes, d'avoir surtout sacrifié la Hollande à l'Angleterre, en l'entraînant dans une alliance contraire à tous ses intérêts commerciaux et maritimes. Ils se réunissaient secrètement en comités révolutionnaires, prêts à se soulever au premier signal, à destituer les autorités, et à en nommer d'autres. La province de Frise, dont les états étaient assemblés, osa déclarer qu'elle voulait se séparer du stathouder; les citoyens d'Amsterdam firent une pétition aux autorités de la province, dans laquelle ils déclaraient qu'ils étaient prêts à s'opposer à tout préparatif de défense, et qu'ils ne souffriraient jamais surtout qu'on voulût percer les digues. Dans cette situation désespérée, le stathouder songea à négocier, et adressa des envoyés au quartier-général de Pichegru, pour demander une trève, et offrir pour conditions de paix la neutralité et une indemnité des frais de la guerre. Le général français et les représentans refusèrent la trève; et, quant aux offres de paix, en référèrent aussitôt au comité de salut public. Déjà l'Espagne, menacée par Dugommier, que nous avons laissé descendant des Pyrénées, et par Moncey, qui, maître du Guipuscoa, s'avançait sur Pampelune, avait fait des propositions d'accommodement. Les représentans envoyés en Vendée, pour examiner si une pacification était possible, avaient répondu affirmativement et demandé un décret d'amnistie. Quelque secret que soit un gouvernement, toujours les négociations de ce genre transpirent elles transpirent même avec des ministres absolus, inamovibles; comment seraient-elles restées secrètes avec des comités renouvelés par quart tous les mois? On savait dans le public que la Hollande, l'Espagne, faisaient des propositions; on ajoutait que la Prusse, revenue de ses illusions, et reconnaissant la faute qu'elle avait faite de s'allier à la maison d'Autriche, demandait à traiter; on savait par tous les journaux de l'Europe qu'à la diète de Ratisbonne plusieurs états de l'Empire, fatigués d'une guerre qui les touchait peu, avaient demandé l'ouverture d'une négociation tout disposait donc les esprits à la paix; et de même qu'ils étaient revenus des idées de terreur révolutionnaire à des sentimens de clémence, ils passaient maintenant des idées de guerre à celles d'une réconciliation générale avec l'Europe. On recueillait les moindres circonstances pour en tirer des conjectures. Les malheureux enfans de Louis XVI, privés de tous leurs parens, et séparés l'un de l'autre dans la prison du Temple, avaient vu leur sort un peu amélioré depuis le 9 thermidor. Le cordonnier Simon, gardien du jeune prince, avait péri comme complice de Robespierre. On lui avait substitué trois gardiens, dont un seul changeait chaque jour, et qui montraient au jeune prince plus d'humanité. On tirait de ces changemens opérés au Temple de vastes conséquences. Le travail projeté sur les moyens de retirer les assignats donnait lieu aussi à de grandes conjectures. Les royalistes, qui se montraient déjà, et dont le nombre s'augmentait de ces incertains qui abandonnent toujours un parti qui commence à faiblir, disaient avec malice qu'on allait faire la paix. Ne pouvant plus dire aux républicains Vos armées seront battues, ce qui avait été répété trop souvent sans succès, et ce qui devenait trop niais, ils leur disaient On va les arrêter dans la victoire; la paix est signée; on n'aura pas le Rhin; la condition de la paix sera le rétablissement de Louis XVII sur le trône, la rentrée des émigrés, l'abolition des assignats, la restitution des biens nationaux. On conçoit combien de tels bruits devaient irriter les patriotes. Ceux-ci, déjà effrayés des poursuites dirigées contre eux, voyaient avec désespoir le but qu'ils avaient poursuivi avec tant d'effort, compromis par le gouvernement. A quoi destinez-vous le jeune Capet? disaient-ils; qu'allez-vous faire des assignats? Nos armées n'auront-elles versé tant de sang que pour être arrêtées au milieu de leurs victoires? n'auront-elles pas la satisfaction de donner à leur patrie la ligne du Rhin et des Alpes? L'Europe a voulu démembrer la France; la juste représaille de la France victorieuse sur l'Europe doit être de conquérir les provinces qui complètent son sol. Que va-t-on faire pour la Vendée? Va-t-on pardonner aux rebelles quand on immole les patriotes? Il vaudrait mieux, s'écria un membre de la Montagne dans un transport d'indignation, être Charette que député à la convention.» On conçoit combien tous ces sujets de division, joints à ceux que la politique intérieure fournissait déjà, devaient agiter les esprits. Le comité de salut public, se voyant pressé entre les deux partis, se crut obligé de s'expliquer il vint déclarer à deux reprises différentes, une première fois par l'organe de Carnot, une autre fois par celui de Merlin de Douai, que les armées avaient reçu ordre de poursuivre leurs triomphes, et de n'entendre les propositions de paix qu'au milieu des capitales ennemies. Les propositions de la Hollande lui parurent en effet trop tardives pour être acceptées, et il ne crut pas devoir consentir à négocier à l'instant où on allait être maître du pays. Abattre la puissance stathoudérienne, relever la république hollandaise, lui sembla digne de la république française. On s'exposa, à la vérité, à voir toutes les colonies de la Hollande et même une partie de sa marine, devenir la proie des Anglais, qui déclareraient s'en emparer au nom du stathouder; mais les considérations politiques devaient l'emporter. La France ne pouvait pas ne pas abattre le stathoudérat; cette conquête de la Hollande ajoutait au merveilleux de ses victoires, intimidait davantage l'Europe, compromettait surtout les flancs de la Prusse, obligeait cette puissance à traiter sur-le-champ, et par-dessus tout rassurait les patriotes français. En conséquence Pichegru eut ordre de ne plus s'arrêter. La Prusse, l'Empire, n'avaient encore fait aucune ouverture, et on n'eut rien à leur répondre. Quant à l'Espagne, qui promettait de reconnaître la république et de lui payer des indemnités, à condition qu'on ferait vers les Pyrénées un petit état à Louis XVII, elle fut écoutée avec mépris et indignation, et ordre fut donné aux deux généraux français de s'avancer sans relâche. Quant à la Vendée, un décret d'amnistie fut rendu il portait que tous les rebelles, sans distinction de grade, qui poseraient les armes dans l'intervalle d'un mois, ne seraient pas poursuivis pour le fait de leur insurrection. Le général Canclaux, destitué à cause de sa modération, fut replacé à la tête de l'armée dite de l'Ouest, qui comprenait la Vendée. Le jeune Hoche, qui avait déjà le commandement de l'armée des côtes de Brest, reçut en outre celui de l'armée des côtes de Cherbourg personne n'était plus capable que ces deux généraux de pacifier le pays, par le mélange de la prudence et de l'énergie. Pichegru, qui avait reçu ordre de poursuivre sa marche victorieuse, attendait que la surface du Wahal fût entièrement prise. Notre armée longeait le fleuve; elle était répandue sur ses bords vers Millingen, Nimègue, et tout le long de l'île de Bommel, dont nous étions maîtres. Walmoden, voyant que Pichegru, vers Bommel, n'avait laissé que quelques avant-postes sur la rive droite, les replia, et commença un mouvement offensif. Il proposait au prince d'Orange de se joindre à lui, pour former de leurs deux armées réunies une masse imposante, qui pût arrêter par une bataille l'ennemi qu'on ne pouvait plus contenir maintenant par la ligne des fleuves. Le prince d'Orange, tenant à ne pas découvrir la route d'Amsterdam, ne voulut jamais quitter Gorcum. Walmoden songea à se placer sur la ligne de retraite, qu'il avait tracée d'avance du Wahal à là Linge, de la Linge au Leck, du Leck à l'Yssel, par Thiel, Arnheim et Deventer. Tandis que les républicains attendaient la gelée avec la plus vive impatience, la place de Grave, défendue avec un courage héroïque par le commandant Debons, se rendit presque réduite en cendres. C'était la principale des places que les Hollandais possédaient au-delà de la Meuse, et la seule qui n'eût pas cédé à l'ascendant de nos armes. Les Français y entrèrent le 9 nivôse 29 décembre. Enfin, le 19 nivôse 8 janvier 1795, le Wahal se trouva solidement gelé. La division Souham le franchit vers Bommel; la brigade Dewinther, détachée du corps de Macdonald, le traversa vers Thiel. A Nimègue et au-dessus, le passage n'était pas aussi facile, parce que le Wahal n'était pas entièrement pris. Néanmoins le 21 10, la droite des Français le passa au-dessus de Nimègue, et Macdonald, appuyé par elle, passa à Nimègue même dans des bateaux. En voyant ce mouvement général, l'armée de Walmoden se retira. Une bataille seule aurait pu la sauver; mais dans l'état de division et de découragement où se trouvaient les coalisés, une bataille n'aurait peut-être amené qu'un désastre. Walmoden exécuta un changement de front en arrière, en se portant sur la ligne de l'Yssel, afin de gagner le Hanovre par les provinces de la terre ferme. Conformément au plan de retraite qu'il s'était tracé, il abandonna ainsi les provinces d'Utrecht et de la Gueldre aux Français. Le prince d'Orange resta vers la mer, c'est-à-dire à Gorcum. N'espérant plus rien, il abandonna son armée, se présenta aux états réunis à La Haye, leur déclara qu'il avait essayé tout ce qui était en son pouvoir pour la défense du pays, et qu'il ne lui restait plus rien à faire. Il engagea les représentans à ne pas résister davantage au vainqueur, pour ne pas amener de plus grands malheurs. Il s'embarqua aussitôt après pour l'Angleterre. Dès cet instant, les vainqueurs n'avaient plus qu'à se répandre comme un torrent dans toute la Hollande. Le 28 nivôse 17 janvier, la brigade Salm entra à Utrecht, et le général Vandamme à Arnheim. Les états de Hollande décidèrent qu'on ne résisterait plus aux Français, et que des commissaires iraient leur ouvrir les places dont ils croiraient avoir besoin pour leur sûreté. De toutes parts, les comités secrets qui s'étaient formés manifestaient leur existence, chassaient les autorités établies, et en nommaient spontanément de nouvelles. Les Français étaient reçus- Свавօψ ሊυρአ
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- Повреδጯቾ игеρэγևбр зխշοηև
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- Ծա նилևснա ифоπу
Y a-t-il eu des histoires de la Révolution avant 1815 ? Oui. Une cinquantaine, pour la plupart publiées ou au moins commencées avant le début de l’Empire. Il est vrai qu’elles ont été critiquées dès le moment de leur publication et que les études consacrées plus tard à l’historiographie de la Révolution n’en ont pas fait grand cas. Elles existent pourtant et aucun critère solide ne permet de les exclure en bloc. Je leur ai consacré un chapitre de ma thèse, devenue un livre Les Métaphores naturelles de la Révolution, p. 227-260. J’ai écrit plusieurs articles que l’on peut lire en ligne, par exemple sur les épigraphes de ces premières histoires, sur ce qu’elles ont de tragique, ou encore sur une année particulièrement féconde, l’an IX. Mais je publie pour la première fois ici la liste des histoires de la Révolution publiées entre 1789 et 1815. Je retiens tous les ouvrages qui annoncent par leur titre une ambition historique et qui la réalisent au moins partiellement1. Certains choix sont probablement discutables. D’autres titres ont sans doute échappé à ma vigilance. Cependant cette liste est beaucoup plus complète que toutes les listes partielles proposées dans les études que j’ai consultées voir la liste ci-dessous. J’ai classé les ouvrages par année et, à l’intérieur de chaque année, par ordre alphabétique. J’ai numéroté chaque nouvelle histoire, de façon à pouvoir faire des renvois pour signaler les rééditions. Ce système est peu satisfaisant pour introduire un nouveau titre, il faudrait revoir toute la numérotation. En attendant, cela permet de se faire une idée de la production de chaque année, en incluant les rééditions ou les volumes ajoutés à des histoires commencées précédemment. 1789 avant le 14 juillet [Lescène des Maisons, Jacques], Histoire politique de la Révolution en France,ou correspondance entre Lord D*** et lord T***, Londres, 1789, 2 vol., in-8°, 366+397=763 p. Remarque 1 si la page de titre ne comporte pas de nom d’auteur, l’épigraphe et le contenu du volume indiquent très clairement que Lescène des Maisons en est l’auteur. Remarque 2 la dernière phrase du texte annonce l’ouverture des États généraux. 1789 après le 14 juillet Histoire de la révolution présente, ou Mémoires périodiques, impartiaux et fidèles, pour servir à l’histoire de France pendant les années 1789 et suivantes, par M. C***, Paris, imprimerie de J. Girouard, 1789, in-8°, 49 p. Remarque périodique sans suite après le numéro 1, ce texte figure dans la collection des journaux éphémères de la période de la Révolution » de la BNF. Beffroy de Reigny, Louis-Abel, Histoire de France pendant trois mois; ou Relation exacte, impartiale et suivie des événements qui ont eu lieu à Paris, à Versailles et dans les Provinces, depuis le 15 Mai, juqu’au 15 Août 1789, Paris, Belin, 1789, in-8°, 184 p. 1790 Éclaircissements historiques et impartiaux sur les causes secrètes et les effets publics de la révolution de 1789, 1790, in 8°, 180 p. Essai historique et raisonné sur la révolution de France, en 1789 et 1790, ou lettre à Mme ***, Londres, 1790, in-8°, 240 p. Histoire de la Révolution de 1789 et de l’établissement d’une constitution en France ; précédée de l’exposé rapide des administrations successives qui ont déterminé cette Révolution mémorable ; par deux Amis de la Liberté, Paris, Clavelin, 1790, 3 vol., in-8°, 363+412+369=1144 p. Vol. 4-5, Paris, Clavelin,1791, 364+383 p. Vol. 6-7, Paris, Clavelin,1792, 355+351 p. Vol. 8-9, Paris, Bidault, an V. Vol. 10-11, Paris, Bidault, an VI, 414+ Vol. 12-14, Paris, Bidault, an VII. Vol. 15-16, Paris, Bidault, an IX. Vol. 17-20, Paris, Bidault, an XI. 2e éd. 1792-1803, Garnery et Bidault, 19 vol., in-18. Remarque 1 le volume 20 est une table analytique » qui résume l’ensemble. Remarque 2 l’orientation politique change en même temps que l’éditeur le texte devient hostile à la Révolution à partir de l’an V. Pot-pourri national, ou Matériaux pour servir à l’histoire de la révolution, dédié à M. Servan, ancien avocat général au parlement de Grenoble, par un ami de la liberté, 1790, in-8°, 84 p. Hugou de Bassville, Nicolas-Jean, Mémoires historiques, critiques et politiques de la révolution de France, avec toutes les opérations de l’Assemblée nationale, Paris, Bleuet, 1790, 4 vol, in-8°, 380+375+381+367=1503 p. 1791 Bosselman, Engelbert, La nouvelle satyre Ménipée, ou recueil choisi de traits patriotiques ; de motions singulières ; d’événements mémorables ; de satyres ingénieuses ; de portraits de personnages célèbres ; de Chansons nationales ; de Discours éloquents ; de Saillies piquantes ; de Poésies fugitives ; de bons mots nouveaux, etc. sur la révolution de France, avec des observations historiques et critiques, Paris, Godeby, 1791, in-12, 300 p. Remarque recueil de pièces très courtes, introduites par l’ Adieu à l’année 1789 » de Louis-Sébastien Mercier. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 4-5. Voir n° 6. 1792 Histoire autentique et suivie de la Révolution de France, à commencer depuis l’assemblée des notables jusqu’à la seconde législature […] en une suite de lettres adressées par l’auteur à un de ses correspondants étrangers, Londres, 1792, 2 vol., in-8°, 832+827=1660 p. Boyer-Brun, Jacques-Marie, Histoire des caricatures de la révolte des Français, Paris, imp. du Journal du peuple, 1792, 2 vol, in 8°, 410+190=600 p. Montjoye, Histoire de la Révolution de France, et de l’assemblée nationale, Paris, Gattey, 1792, in 4°, 791 p. Remarque le volume rassemble cinq cahiers publiés séparément de 1791 à 1792 sous le titre L’Ami du Roi, des François, de l’ordre et surtout de la vérité ; ou Histoire de la Révolution de France et de l’Assemblée nationale, pour former, avec le journal intitulé l’Ami du Roi, et commencé le 1erjuin 1790, un corps complet d’histoire du temps actuel. 2e éd. Montjoye, Histoire de la révolution de France, depuis la présentation au parlement de l’impôt territorial et de celui du timbre jusqu’à la conversion des États généraux en Assemblée nationale, Paris, imp. de Perronneau, 1797, 2 vol, in 8°, 504+648=1152 p. Peltier, Jean-Gabriel, Dernier tableau de Paris, ou récit historique de la révolution du 10 août 1792, des causes qui l’ont produite, des événements qui l’ont précédée, et des crimes qui l’ont suivie, Londres, Chez l’Auteur, 1792-1793, 2 vol, in-8°, 495+590=1085 p. 3e éd., Londres, 1794, 2 vol. 4e éd., Histoire de la révolution du 10 aoust 1792, des événemens qui l’ont précédée, et des crimes qui l’ont suivie, Londres, Paris, Chez les principaux libraires, 1797, 2 vol. Remarque je n’ai pas retrouvé la 2eédition. Rabaut, Jean-Paul, Almanach historique de la Révolution françoise pour l’année1792, Paris, Onfroy, et Strasbourg, Treutel, 1792, in-18, 284 p. 2e éd. Jean-Paul Rabaut, Précis historique de la Révolution françoise, suivi de l’acte constitutionnel des Français, Paris, Onfroy et Strasbourg, Treuttel, 1792, in-24, 405 p. 3e et 4e édition en 1792. Remarque Charles de Lacretelle se présente comme le continuateur de ce texte à partir de 1801. Voir ci-dessous, n° 43. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 6-7. Voir n° 6. 1793 1794 Catéchisme révolutionnaire, ou L’histoire de la Révolution française, par demandes et par réponses à l’usage de la jeunesse républicaine, et de tous les peuples qui veulent devenir libres, Paris, Debarle, an II, in-18, 116 p. Boisdeffre, Jean-François Le Mouton de, Tableau historique de la France révolutionnaire, Leipzig, 1794, in-16°, 102 p. Gleizal, Claude, Coup d’œil sur la révolution française, ou précis historique des événements qui l’ont accompagnée, depuis la convocation des États généraux jusqu’au mois de fructidor, an II de la République française, Paris, imp. de Guffroi, [an II], in 8°, 48 p. 1795 Histoire des Jacobins de France, ou examen des principes anarchiques et désorganisateurs de la révolution française, suivi d’une notice historique sur Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Élisabeth,… par un député aux États généraux de 1789, Hambourg, Hoffman, 1795, 2 vol., in 12, 339+322=661 p. André, Jean-François, Almanach Historique et révolutionnaire, ou Précis de toute la Révolution Française et des opérations armées jusqu’à la chute du tyran Robespierre, Paris, Barba et Aubril, an III, in-24, 191 p. Maréchal, Sylvain, Tableau historique des événements révolutionnaires depuis la fondation de la République jusqu’à présent, rédigé principalement pour les campagnes, Paris, Dufart, Basset, Langlois, Demoraine, Caillot et Louis, an III, in-18, 192 p. 1796 Mallet du Pan, Jacques, Correspondance politique pour servir à l’histoire du républicanisme français, Hambourg, P. F. Fauche, 1796, in 8°, 124 p. Quenard, P.,Portraits des personnages célèbres de la Révolution, Avec Tableau Historique et Notices, Paris, impr. du Cercle Social, 1796-An 4, 2 vol., in 4°, non paginé. Vol. 3-4 Bonneville, François, Portraits des personnages célèbres de la Révolution, Paris, chez l’auteur, vol. 3, 1797 ; vol. 4, 1802, in 4°. Remarque un Tableau historique » de 72 p., signé P. Quenard », ouvre le premier volume. Chaque gravure de F. Bonneville est ensuite suivie de deux pages de texte non signées. Dans les vol. 3 et 4, F. Bonneville prend la place de P. Quenard sur la page de titre. Sans le tableau historique », l’ouvrage ne relève plus du genre de l’histoire. Fantin-Desodoards, Antoine-Étienne-Nicolas, Histoire philosophique de la révolution de Francedepuis la convocation des notables, par Louis XVI, jusqu’à la séparation de la Convention nationale, Paris, imprimerie de l’Union, 1796-an IV, 2 vol., in-8°, 311+326=637 p. 2e éd. Histoire philosophique de la révolution de France, nouvelle édition, revue par l’auteur, Paris, Maradan, an V 1797, 4 vol., in-8°, 1395 p. 3e des quatre premiers volumes augmentés de – Histoire de la république française, depuis la séparation de la convention nationale jusqu’à la conclusion de la paix entre la France et l’empereur, Paris, C. Carteret, an VI, 2 vol., in 8°, 378+414=802 p. – Histoire de la République française, depuis le Traité de Campo-Formio, jusqu’à l’acceptation de la Constitution de l’an VIII, formant le tome septième de l’Histoire philosophique de la Révolution de France par le même auteur, Paris, Maradan, an VIII-1800, in 8°, 439 p. 4e éd. Histoire philosophique de la Révolution de France, depuis la première assemblée des Notables jusqu’à la paix de 1801, quatrième édition, seule conforme au manuscrit original, Paris, Belin, Calixte Volland, an IX-1801, 9 vol., in 8°, 4080 p. 5e éd. Histoire philosophique de la Révolution de France, depuis la première assemblée des Notables jusqu’à la paix de Presbourg, cinquième édition revue et corrigée par l’auteur, Angers, impr. des frères Mame, 1807, 10 vol, in-8°. 6e éd. Histoire philosophique de la Révolution de France, depuis la première assemblée des notables en 1787 jusqu’à l’abdication de Napoléon Bonaparte, sixième édition revue, corrigée et augmentée, Paris, Barba et Hubert, 1817, 6 vol, in-8°. 7e éd. Histoire philosophique de la Révolution de France, depuis la première assemblée des notables en 1787 jusqu’à l’abdication de Napoléon Bonaparte, septième édition, entièrement conforme à la précédente, Paris, Barba, 1820, 6 vol, in 8°. 1797 Les Souvenirs de l’histoire, ou le Diurnal de la révolution de France pour l’an de grâce 1797, Paris, G. Bridel, Desenne, Maret, Brigitte Mathei, 2 vol., in 8°, 258+298=556 p. Remarque pour chaque jour de 1797, le texte donne la date dans les deux calendriers, les heures de lever et de coucher du soleil et le récit de ce qui s’est passé le même jour en 1793. Bertrand de Molleville, Antoine-François, Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la dernière année du règne de Louis XVI, roi de France, Londres, Strahan et Cadell, 1797, 3 vol., in 8°, 328+360+312=1000 p. [Chateaubriand,François-René de], Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la révolution française, Londres, J. Deboffe, 1797, in 8°, 781 p. Des Essarts, Nicolas-Toussaint, Précis historique des crimes et du supplice de Robespierre, et de ses principaux Complices, Paris, chez l’auteur, an V 1797 v. st., in 8°, 246 p. Granié, Pierre, Histoire de l’Assemblée constituante de France, écrite pour un citoyen des États-Unis de l’Amérique Septentrionale, Paris, Pougin, Maret, Desenne, Deroy, 1797-Veannée républicaine, in-8°, 270 p. 2e éd. Histoire des États généraux, ou assemblée nationale en 1789, sous Louis XVI, Paris, au bureau du journal des arts, 1814. Pagès, François-Xavier, Histoire secrète de la révolution française, depuis la convocation des notables jusqu’à ce jour 1er novembre 1796, v. st., Paris, Jansen, an V 1797, 2 vol., in 8°, 498+537=1035 p. Le titre devient simplement Histoire secrète de la Révolution française à partir du vol. 3. Vol. 3 Paris, Deterville, an VII, 506 p. Vol. 4-5 Paris, J. G. Dentu, an VIII, 412+288 p. Vol. 6 Paris, Dentu, an IX 1801, 358 p. Vol. 7 Paris, Dentu, an X 1802, 425 p. Remarque Dentu réédite les premiers volumes en 1800 et propose une édition complète en sept volumes en 1801-1802. Prudhomme, Louis-Marie, Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française, Paris, an V 1797, 6 vol., in-8°, 594+557+357+265+513+581=2867 p. Remarque il existe une autre édition avec un titre légèrement différent. La pagination diffère mais le texte est le même Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française, Paris, rue des Marais, an V 1796-1797, 6 vol., in-8°. Rivarol, Antoine de, Tableau historique et politique des travaux de l’Assemblée constituante, depuis l’ouverture des États-Généraux jusqu’après la journée du 6 octobre 1789, Paris, Maret, Desenne, Cérioux, 1797, in-8°, 394 p. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 8-9. Voir n° 6. Fantin-Desodoards,Histoire philosophique de la révolution de France, nouvelle édition en 4 vol. Voir n° 23. 1798 Barruel, Augustin, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Hambourg, P. Fauche, 1798, 5 vol., in 8°, 461+503+463+312+327=2066 p. Remarque il existe un abrégé de ces mémoires, en un seul volume, réédité chaque année ou presque à partir de 1798. Ivernois, Francis d’,Tableau historique et politique de l’administration de la République française pendant l’année 1797, des causes qui ont amené la révolution du 4 septembre et de ses résultats, Londres, P. Elmsley et D. Bremner, février 1798, in 8°, 361 p. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 10-11. Voir n° 6. Fantin-Desodoards,Histoire de la république française, vol. 1-2 formant les vol. 5 et 6 de l’Histoire philosophique. Voir n° 23. 1799 Histoire secrète de l’espionnage pendant la révolution, et des causes qui ont opéré la révolution française, Francfort, 1799, 2 vol., 330+400=730 p. Ivernois, Francis d’, Tableau historique et politique des pertes que la révolution et la guerre ont causées au peuple français, dans sa population, son agriculture, ses colonies, ses manufactures et son commerce, Londres, P. Elmsley et D. Bremner, mars 1799, in-8°, 520 p. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 12-14. Voir n° 6. Pagès,Histoire secrète de la révolution française, vol. 3. Voir n° 29. 1800 Essais sur l’histoire de la révolution française, par une société d’auteurs latins, Romae, Prope Caesaris Hortos et Paris, près du Jardin des Tuileries, MMDLIV-an VIII, in-8°, 85 p. 2e éd. Paris, B. Mathé, an IX. 3e éd. Nouvelle édition précédée de quelques réflexions sur le principe de la philosophie moderne », Londres, Dulau, 1803. Remarque montage de citations d’auteurs antiques, avec la traduction en regard. Ségur, Louis-Philippe de, Histoire des principaux événemens du règne de F. Guillaume II, roi de Prusse, et tableau politique de l’Europe depuis 1786 jusqu’en 1796, Paris, F. Buisson, an IX-1800, 3 vol., in-8°, 442+580+411=1433 p. 2e éd. Tableau historique et politique de l’Europe, depuis 1786 jusqu’en 1796, ou l’an IV ; contenant l’histoire des principaux événemens du règne de F. Guillaume II, Paris, Buisson, an IX 1801, 3 vol., in 8°. 3e éd. même titre que la 2eéd., Paris, F. Buisson, 1803. Fantin-Desodoards,Histoire de la république française, vol. 3 formant le vol. 7 de l’Histoire philosophique. Voir n° 23. Pagès,Histoire secrète de la révolution française, vol. 4-5. Voir n° 29. 1801 Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, jusques et y compris l’époque du 18 Brumaire an 8, précédé d’un abrégé raisonné de la révolution française, Paris, Michel, in-8°, 244 p. Remarque montage de deux ouvrages antérieurs. Remarque annoncé dans le numéro 12 de la Bibliothèque françaisegerminal an IX-avril 1801. Histoire du Directoire exécutif de la République française, depuis son installation jusqu’au dix-huit Brumaire inclusivement, Paris, F. Buisson, an IX 1801, 2 vol., in-8°, 445+532=977 p. Beaulieu, Claude-François, Essais historiques sur les causes et les effets de la révolution de France, avec des notes sur quelques événements et quelques institutions, Paris, Maradan, an IX-1801, 2 vol., in-8°, 453+550=1003 p. Vol. 3-6 Paris, Maradan, an XI-1803, 498+437+502+523=1960 p. Bertrand de Molleville, Antoine-François, Histoire de la Révolution de France, pendant les dernières années du règne de Louis XVI, Paris, Giguet, an 9 1801, 5 vol., in-8°, 404+376+379+372+396=1927 p. Vol. 6-10 Paris, Giguet, an 10 1802, 466+450+460+457+538=2371 p. Vol. 11-14 Paris, Giguet, an 11 1803, 367+454+366+352=1539 p. Remarque le texte des premiers volumes a d’abord été publié dans une traduction anglaise, à Londres, où se trouvait Bertrand de Molleville Annals of the French Revolution ; or, a chronological account of its principal events ; with a variety of anecdotes and characters hitherto unpublished, London, T. Cadell jun. and W. Davis, 1800, 4 vol. Blanc de Volx, Jean, Des Causes des Révolutions, et de leurs effets ou Considérations historiques et politiques sur les Mœurs qui préparent, accompagnent et suivent les Révolutions, Paris, Dentu, an IX – 1801, 2 vol., in-8°, 352+374=726 p. Lacretelle, Charles, Précis historique de la Révolution française. Assemblée législative, Paris, Onfroy, Treuttel et Würtz, an IX 1801, in-12, 504 p. [Vol. 2-3] Précis historique de la Révolution française. Convention nationale, Paris, Treuttel et Würtz ; Onfroy, 1803, 2 vol. [Vol. 4-5] Précis historique de la Révolution française. Directoire exécutif, Paris, Treuttel et Würtz ; Onfroy, 1806, 2 vol. Remarque se présente comme la suite du Précis historiquede Jean-Pierre Rabaut voir ci-dessus, n° 14. Lecomte, Pierre-Charles, Mémorial, ou Journal historique, impartial et anecdotique de la Révolution de France, contenant une série exacte des faits principaux qui ont amené et prolongé cette révolution, depuis 1786, jusqu’à l’armistice signée dans les derniers jours de l’an VIII ; dans lequel la chronologie a été scrupuleusement observée, et où l’on voit quantité de rapprochements curieux, d’anecdotes héroïques, nationales et satyriques, la plupart inédites, Paris, Duponcet, an IX-1801, 2 vol., in-12, 402+404=806 p. Vol. 3 Mémorial, ou Journal historique, impartial et anecdotique de la Révolution de France, contenant une série exacte des faits principaux qui ont amené et prolongé cette révolution, depuis la fin de l’an VIII, jusqu’à la décision du Consulat à vie ; dernière époque de cette grande révolution […], Paris, Duponcet, an XI-1803, in-12, 294 p. Papon, Jean Pierre, Tableau d’une histoire de la révolution française, Paris, 15 brumaire an X, 18 p. Remarque annonce un ouvrage qui sera publié à titre posthume en 1815 Histoire de la révolution de France depuis l’ouverture des États généraux mai 1789 jusqu’au 18 brumaire novembre 1799, Paris, Poulet, 1815, 6 vol. Toulongeon, François-Emmanuel,Histoire de France depuis 1789, écrite d’après les mémoires et manuscrits contemporains rassemblés dans les dépôts civils et militaires, Paris et Strasbourg, Treuttel et Würtz, an IX 1801, in-4°, 600 p. Vol. 2 an XI 1803, in-4°, 610 p. Vol. 3 1806, in-4°, 283 p. Vol. 4 1810, 458 p. Remarque chaque volume s’achève par de très nombreuses pièces justificatives auxquelles renvoient des notes marginales au cours du récit. Les volumes 1 et 2 comportent des cartes et plans utilisant partiellement la couleur. Le volume 3 comporte une grande carte de France en noir et blanc. Remarque une édition in-8° est publiée en même temps que l’édition in-4° vol. 1-2 en 1801, vol. 3-4 en 1803, vol. 5 en 1806, vol. 6-7 en 1810. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 15-16. Voir n° 6. Fantin-Desodoards,Histoire philosophique de la Révolution de France, 4e édition en 9 vol. dont 2 nouveaux. Voir n° 23. Pagès,Histoire secrète de la révolution française, vol. 6. Voir n° 29. 1802 Fantin-Desodoards, Antoine-Étienne-Nicolas, Abrégé chronologique de la Révolution de France, à l’usage des écoles publiques, Paris, Barba, an X 1802, 3 vol., in-12, 531+500+488=1519 p. Pagès, Histoire secrète de la révolution française, vol. 7. Voir n° 29. Bertrand de Molleville, Histoire de la Révolution de France, vol. 6-10. Voir n° 41. 1803 Histoire de la guerre civile en France, et des malheurs qu’elle a occasionnés […] par l’Aut. de l’Histoire du Règne de Louis XVI, Paris, Lerouge, 1803, 3 vol., in-8°, 378+420+516=1314 p. Histoire de la Révolution de 1789 […] ; par deux Amis de la Liberté, vol. 17-20. Voir n° 6. Beaulieu, Essais historiques sur les causes et les effets de la révolution de France, vol. 3-6. Voir n° 40. Bertrand de Molleville, Histoire de la Révolution de France, vol. 11-14. Voir n° 41. Lacretelle, Précis historique de la Révolution française. Convention nationale, 2 vol. Voir n° 43. Lecomte, Mémorial, ou Journal historique, impartial et anecdotique de la Révolution de France, vol. 3. Voir n° 44. Toulongeon,Histoire de France depuis 1789, vol. 2. Voir n° 46. 1804 1805 1806 La Fin du 18esiècle, ou Anecdotes curieuses et intéressantes, tirées de manuscrits originaux,… pour servir de matériaux à l’histoire de la République française, Paris, Monory, an XIV-1805 et 1806, in-8°, 284 p. Histoire de France depuis le 21 janvier 1793, époque de la mort de Louis XVI, jusqu’au jour du couronnement de Napoléon premier, Paris, Artaud, 1806, in-8°, 437 p. Lacretelle,Précis historique de la Révolution française. Directoire exécutif, 2 vol. Voir n° 43. Toulongeon,Histoire de France depuis 1789, vol. 3. Voir n° 46. 1807 Fantin-Desodoards,Histoire philosophique de la Révolution de France, 5e édition en 10 vol. dont 1 nouveau. Voir n° 23. 1808 1809 1810 Paganel, Pierre, Essai historique et critique sur la Révolution française, dédié à M. le comte de Lacépède, Paris, Plassan et Strasbourg, Treuttel et Würtz, 1810, 3 vol., in-8°, 399+360+413=1172 p. 2e éd. Paris, C. L. F. Panckoucke, 1815. Remarque la première édition a été saisie et détruite par le pouvoir impérial. Toulongeon,Histoire de France depuis 1789, vol. 4. Voir n° 46. 1811 1812 1813 1814 avant l’abdication de Napoléon Études Desmarais, Cyprien, Histoire des histoires de la Révolution française, pour servir de complément à tous les écrits sur la même époque, Paris, Paul Méquignon, 1834. Aulard, Alphonse, Études et leçons sur la Révolution française, Sixième série, Paris, Félix Alcan, 1910. Godechot, Jacques, Les Révolutions 1770-1799, Paris, PUF, [1963], 4e édition mise à jour, 1986. Gérard, Alice, La Révolution française, mythes et interprétations, coll. questions d’histoire, Paris, Flammarion, 1970. Bétourné, Olivier et Hartig, Aglaia I., Penser l’histoire de la Révolution, deux siècles de passion française, Paris, La Découverte, 1989. Bourdin, Philippe dir., La Révolution, 1789-1871, écriture d’une histoire immédiate, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008. Mazauric, Claude, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, Paris, PUF, 2009. Mazauric, Claude, Retour sur 200 ans d’histoire et de révolution », La Révolution française, une histoire toujours vivante, sous la direction de Michel Biard, Paris, Tallandier, 2009. Serna, Pierre, Révolution française. Historiographie au xixe siècle », dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt dir., Historiographies. Concepts et débats, Paris Gallimard, coll. Folio histoire», 2010, vol. 2, p. 1186-1199. Sources bibliographiques Catalogue de l’histoire de France, Reproduction de l’édition publiée de 1855 à 1895, Paris, Bibliothèque Nationale, 1968, t. I [1855] en particulier la section La32, Ouvrages généraux sur la Révolution». Monglond, André, La France révolutionnaire et impériale, annales de bibliographie méthodique et description des livres illustrés, Paris, Impr. Nationale, 1930-1957, 8 vol. Image à la une Fantin-Desodoards, Histoire philosophique de la Révolution de France n° 23, édition de 1801, en 9 volumes. Pour citer cet article Olivier Ritz, Bibliographie des premières histoires de la Révolution 1789-1814», Littérature et Révolution, publié le 11 juin 2018, On pourra se référer au livre et aux articles signalés dans le premier paragraphe pour connaître plus précisément la méthode qui m’a permis d’établir cette liste. [↩]
laRévolution et des principes qui doivent fonder la République en France Considérations sur les principaux événements de la Révolution française Dix années d’exil Considérations sur les principaux événements de la Révolution française] / édition établie par Laurent Theis, préface de Michel Winock. Paris: R. Lafont, 2017 Résumé - Commencée avec l’ouverture des états généraux mai 1789, la Révolution française a provoqué le renversement de la monarchie et de l’ordre social de l’Ancien Régime reposant sur trois classes distinctes dont les droits devant la loi et devant l’impôt étaient inégaux. Après une période modérée, marquée par l’abolition des privilèges et la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen août 1789, la Révolution se radicalise à partir de la fuite du roi à Varennes juin 1791 et l’entrée en guerre contre les puissances européennes avril 1792. Au lendemain de la chute de la monarchie août 1792 et de l’instauration de la République septembre 1792, la Terreur est à l’ordre du jour, mais les modérés renversent Robespierre juillet 1794, puis instaurent le Directoire octobre 1795. Lui succèdera enfin le Consulat en 1799, prélude de l'épopée napoléonienne. .